samedi 1 octobre 2011

1- L'oeuf de Dario: L'oiseau au plumage de cristal, Dario Argento, 1969, Italie.




Regarder aujourd'hui L'oiseau au plumage de cristal, c'est le faire depuis l'autre versant de la carrière de Dario Argento, et il est difficile de voir ce premier film pour lui même, sans être saisi par ce qui évoque nombre de ces chef d'oeuvres à venir. Mais aussi par certains traits déjà typiques de ces errances qui continuent de désespérer ceux qui voient encore les films du maestro déchu.

Rome, circa 1969. Des mains gantées de noir, une arme blanche, une silhouette indéfinissable portant chapeau mou, une jeune femme en péril, un témoin impuissant. L'ouverture de L'oiseau au plumage de Cristal, après les deux prototypes de Mario Bava ( Six femmes pour l'assassin, La fille qui en savait trop) fournit la matrice d'un genre, le giallo, dont le succès du film d'Argento sera la source sanglante.

Le Giallo, c'est bien souvent d'abord une enquête policière. Et ici, une fois n'est pas coutume, Argento va prendre au sérieux et traiter avec soin le développement de son énigme.
On assassine des jeunes femmes, et le meurtrier, même s'il semble pouvoir frapper n'importe qui n'importe quand suit malgré tout une certaine logique meurtrière. Reste à découvrir laquelle...

C'est Sam Dalmas, un écrivain dans un premier temps accusé d'un des meurtres qui va se mettre en tête de retrouver l'assassin, dans une de ces enquêtes privées, menées avec la bénédiction improbable de la police, dont les giallos regorgent.

Il semble qu' Argento, conscient de s'attaquer, déjà, à un récit stéréotypé, va s'y engager comme dans un exercice de style, et s'efforcer de faire siennes les figures imposées et affirmer qu'il est un metteur en scène avec un vrai sens de l'image, alors que son passé de scénariste pourrait faire imaginer le contraire.

On se délecte, dès la première confrontation du tueur ganté et de sa victime, de l'inventivité plastique d'Argento. Une lumière crue et aveuglante baigne la scène, encore accentuée par la blancheur des murs et la transparence du sas de verre qui y mène. Nous sommes devant une galerie d'art, et la grande sculpture d'un pied de rapace démesuré souligne presque grossièrement le rapport de prédation établit entre la femme et le tueur. Attiré comme un papillon par ce spectacle, Sam Dalmas (Tony Musante) , s'engage dans le sas de verre et s'y retrouve prisonnier, incapable de mener à son terme la mission de sauvetage qu'il avait entrepris, et transormé en témoin impuissant.

La scénographie est magistrale, et la montage, entrechoquant les différentes échelles de plan est à la hauteur de la magnifique idée d'Argento. Le jeu avec le son, tantôt audible (les cris de la femme) tantôt muet (lorsque l'on épouse le point de vue du témoin) achève de montrer quelle maîtrise Argento a déjà de la cinématographie.

Il faudrait dire aussi à partir de cette scène à quel point la ville moderne est filmée comme un réseau vecteur de circulation et de contamination du crime- par exemple durant la poursuite après un tueur vêtu de jaune, qui aboutit à la multiplication du pourchassé dans un salon d'hôtel !
Tout Ténèbres, qui pousse à son sommet cette vision de l'urbanité est déjà en germe ici. Mais aussi l'idée de folie contagieuse qui se propage à travers Mother of tears ...

Les scènes marquantes, inventives, vont ensuite s’enchaîner : cette belle poursuite nocturne, presque abstraite, la fouille d'une pièce à la recherche d'un témoin gênant caché sous le lit...
Des scènes presque purement plastiques reliées par des échanges entre les différents personnages faisant avancer l'enquête plus que leur psychologie.

Car dès le début de la carrière d'Argento, ce n'est pas par la dialogue ou les ressorts psychologiques habituels que les personnages vont s'épaissir. La compagne de Dalmas, tout comme l'inspecteur de police sont des fonctions plus que des caractères. Et quand Argento décide de brosser un portrait, il le fait avec le gros trait du caricaturiste : on croisera un antiquaire amateur d'art, à l'homosexualité incarnée d'une façon tellement grossière et outrée par le comédien qu'elle en devient gênante. Un peu plus loin c'est un peintre ermite, improbable croisement entre le capitaine Hadock et le capitaine Cavern, particulièrement inutile à l'intrigue, et qui quittera définitivement le récit après avoir vociféré
à son hôte qu'il lui a servi a souper... du chat ! (noir?)

Si ces deux personnages incongrus montrent un goût précoce pour les personnages improbables, qu'Argento assumera de plus en plus- ne nous régalera-t-il pas d'une assemblée de nains dans Le sang des innocents?- leur lien avec le monde de l'art relève d'une obsession plus sérieuse chez le maestro.

Ici, une œuvre d'art est au centre de l'intrigue (comme dans Ténèbres, voire Les frissons de l'angoisse ) et comme dans Le syndrome de Stendhal, elle va littéralement déclencher les pulsions d'un des personnages. On peut voir là une foi dans le pouvoir de l'image qui demeurera longtemps l'âme du cinéma d'Argento, C'est ici aussi la faille d'un personnage, son vide, son manque initial, qui en le déséquilibrant va rendre possible son basculement dans la possession induite par l'oeuvre.

Voilà, contenue dans L'oiseau au plumage de cristal, une belle définition du cinéma d'horreur par un de ses plus grands ordonnateurs, dont le premier film contient déjà en germe presque tous les autres.


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