dimanche 9 octobre 2011

10 - Objectif flou : Apollo 18, Gonzalo Lopez-Gallego, USA/Canada, 2011

Une fois n'est pas coutume, le film qui nous intéressera ce dimanche soir est « d'actualité », entendez qu'il est sorti sur les écrans cette semaine, et que j'ai profité d'un samedi familial au multiplex pour avancer dans mes collectes fantastiques.

Apollo 18 est, à l'instar de Jennifer's body ou Lake placid, un film que l'on peut cataloguer dans la catégorie « série B ». Un petit film, comme l'on parle d'une petite œuvre, mineure, et néanmoins éloquente en ce qu'elle peut témoigner d'un certain état de la culture populaire au moment de sa production. En l'occurrence, cette époque est la nôtre, dans toute son actualité – et au fond il n'est jamais simple d'avoir du recul sur son propre présent... Toutefois quelques traits sont dès l'abord identifiables et devraient pouvoir nous permettre de trouver quelques petites choses à dire en cette fin de week-end...

La missions Apollo 18 n'a jamais eu lieu. Du moins la NASA le prétend-elle. En réalité, et j'insiste sur ce terme, puisque c'est là le motif effectif de tout le film, cette dernière mission de voyage sur la Lune a bien eu lieu, mais fut classée « top secret », au nom de la sacro-sainte règle de Sécurité nationale, devenue aux Etats-Unis le triste sésame de tous les abus du Gouvernement contre ses administrés. Cette mission envoya trois astronautes sur la Lune, qui découvrirent à l'occasion de ce dernier voyage sur notre satellite que quelque chose ne collait pas sur ce que l'on pouvait nous raconter au sujet de la glorieuse Conquête spatiale. La frontière, pour reprendre le thème que mon camarade développait vendredi à propos de L'Autre, n'est pas tout à fait celle que l'on croit, et sa conquête cache en réalité autre chose que ce seul conatus qui nous ferait toujours aller voir plus loin, au-delà de l'endroit où peut se porter notre regard. De ce fait, cette mission nous emporte sur la face cachée de la Lune, la dark side of the moon, là où il nous permis de voir avec un autre regard que celui de tout un chacun... On pourrait penser que l'on renoue là avec la fameuse vision du poète, ce troisième œil qu'ouvrait la petite Ofelia dans le Labyrinthe de Pan, mais il ne s'agit pas du tout de cela.

Apollo 18 est un film paranoïaque, qui nous raconte une histoire paranoïaque, qui la raconte sur un mode paranoïaque, et qui conclut que si tous savent, alors il faut que tous voient. Par là même, comme touché par son péché originel, ce film fantastique sans aucun doute, manifeste la limite du genre, non comme sa faiblesse, mais comme sa plus grande force.

En effet, dans sa volonté réaliste, et pour faire suite à quelques grands succès du genre de ces dix dernières années, à la suite du Projet Blair Witch, jusqu'à Paranormal Activity, Apollo 18 prétend rendre compte par le montage d'innombrables images et documents d'archives déclassifiés et mis en ligne sur internet, de ce que fut réellement cette mission : à la fois la rencontre des astronautes avec une forme de vie « lunienne », et leur destruction par cette forme de vie franchement hostile à leur égard. Fabriquer une œuvre à partir des strictes potentialités du montage, voilà un projet qui, il n'y a pas si longtemps aurait pu être qualifié d'éminemment cinématographique, mais qui depuis l'avènement de la télé-réalité et de sa grammaire du morcellement est devenu franchement télévisuel. Toutefois la révélation d'Apollo 18 ne s'arrête pas à nous rendre témoin d'un Big brother spatial, dans lequel on vous entend très bien crier. Si la logique paranoïaque s'accommode très bien, voire même se fabrique (presque) toute seule à partir de l'agencement de ces caméra de surveillance, de ces images floues et saccadées, de ces vagues d'ondes qui hurlent leur interférences dans les espaces vides de l'outer-space – très beau travail de son à ce propos – elle se renforce d'une narration qui prétend nous montrer toujours plus loin que ce que l'on pensait voir – qui prétend repousser la frontière de ce qui est concevable et représentable. Certes ces astronautes découvrent des créatures mi-pierre, mi-crabes, des genres de cancers qui les harcèlent avant de les anéantir, comme le ferait n'importe quel croque-mitaine, mais cette « horreur » qui aurait très largement suffit à fournir l'argument de nombreux films il y a encore quelques années, ne suffit désormais plus. Ces créatures mystérieuses ne sont pas le sujet principal de la paranoïa progressive des astronautes, et partant, des spectateurs : sont beaucoup plus « monstrueux » les hommes qui ont envoyés ces américains moyens, héros ordinaires, et secrets rappelons-le, vers une mort certaine. Ils savaient, eux, et n'ont provoqué cette mission que pour confirmer leur connaissance – dans une alliance contre-nature en 1972, date sensée de l'aventure qui nous est racontée, avec les Russes soviétiques, au moins autant au courant, voire complices du Gouvernement américain dans l'élaboration de cette mission, après que la leur eut échoué dans les mêmes conditions.

Cette défiance à l'égard de l'autorité va jusqu'au bout du film : une voix qui nous est présentée comme celle du secrétaire-adjoint à la Défense explique à l'astronaute américain survivant réfugié dans la capsule russe encore en état de fonctionnement, qu'il sera dit à sa famille qu'il est mort en héros. Mais ce héros n'a pas du tout envie de le devenir, héroïque, et c'est peut-être là la dernière défiance de cet exercice généralisé de paranoïa : les pionniers n'ont plus de courage, ils ne sont plus que des pères de famille qui demandent d'abord à revoir femme et enfants, pour qui la Frontière n'a plus de sens. Même l'Américain n'est pas ce que l'on pensait voir en lui, et Apollo 18 va nous montrer sa vraie nature...

Bien entendu, l'ensemble du déploiement du discours paranoïaque de ce cinéma-vérité nécessite le dispositif de l'image-vraie, c'est-à-dire de l'image visiblement incontestable, pourrait-on dire de manière un peu paradoxale. C'est une tendance lourde du Fantastique depuis le dix-neuvième siècle que de prétendre dire le vrai, ou plus exactement prétendre à la vérité par le factuel, et le prouver par une série de présentation d'archives dont le statut suffit à prouver l'authenticité. Se faire peur, le plus possible, par le truchement de l'inexpliqué mais de l'authentifié, voilà l'un des traits caractéristiques du Fantastique moderne. Notre époque de réseau électronique et de complots généralisés a ajouté à cet « irrationnel » son retournement contemporain : l'irrationnel est tout à fait rationnel, tout s'explique, complètement, il suffit de chercher les sources qui nous permettent l'explication. A nouveau, la Fantastique retrouve ses origines : ce n'est pas le manque de cause qui le fonde, mais bien l'enchâssement démesuré de celles-ci. L'hubris, à nouveau...

Le paradoxe de tout cela, c'est tout de même que si l'image ne semble plus devoir faire preuve, c'est finalement par elle en sa qualité la plus brute que l'on justifie les discours les plus retors – et que l'on finit par arriver à la conclusion que si l'image ne montre rien, alors c'est bien qu'elle montre tout. Cette disparition du statut de l'image monstrative au profit d'une image -monstrative, qui nous vient de la grammaire de la télé-réalité, vient en fait contredire tout à fait la nature même du cinéma fantastique.

En effet, dès lors que dans Apollo 18, on nous présente fugacement ce qui semble être la menace « lunienne », alors l'image, même si elle déploie tout son discours angoissant, ne permet plus de fabriquer un espace fantastique. La belle idée du film qui consiste à nous dire que ces créatures vivent dans l'ombre des espaces luniens, littéralement, dans les obscurs taches qui s'opposent aux lumières solaires sur cet astre où les contrastes découpent tout espace en une dualité « éclairée/obscure », toute métaphysique, s'évanouit dès lors que ces créatures accèdent à la lumière. Pour une raison simple et qui vient contredire tout le discours paranoïaque de ce fantastique contemporain : on les voit, et de ce moment, elle n'ont plus qu'une seule réalité, bien prosaïque. Le fantastique se situe dans la marge, dans le hors-champs, et non dans son explication, même la plus retorse, la plus bizarre, la plus étrange. Ou plutôt, l'étrange est ce qui reste autre, et dans le cas d'une image, son seul autre demeure son ombre – cet invisible que ne cesse de célébrer le fantastique.

Apollo 18, en prétendant faire la lumière sur toute cette histoire, finit par éteindre la seule chose qui pourrait fabriquer notre angoisse : la certitude de ne pas savoir, toujours pas.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire