vendredi 14 octobre 2011

15- Au commencement, il n'y avait pas de verbe: Le Golem, Paul Wegener, Allemagne, 1920.




C'est dans le silence que s'allumaient, au commencement, les lumières du cinéma. En tous cas dans le silence du verbe des acteurs, puisqu'on jouait de la musique pendant les séances. Déjà, la musique de film étaient intime du déroulement des images et de l'intrigue, et devaient lui insuffler son émotion, son rythme, où plutôt insuffler cette émotion et ce rythme au spectateur.

Comment s'étonner qu'en ces temps où le cinéma était muet le mythe du Golem inspira un comédien du cinéma expressionniste naissant ? Mais c'est dans dans un mouvement paradoxal que l'adaptation se produit.

Bien sûr, il semble évident qu'il y a quelque chose de profondément cinématographique dans l'histoire de cette créature dont l'animation doit provoquer émerveillement et stupéfaction. Whale s'en souviendra 11 ans plus tard quand il apportera tant de soin à la mise en scène des premiers mouvements d'un Golem moderne : Frankenstein.


Il est naturel que le cinéma soit le lieu idéal du réveil du Golem, tant c'est un art reposant su la magie d'un instant figé (photographié) devenant, par la magie mécanique du projecteur et de l'oeil humain le spectacle d'une image en mouvement (filmée). Mais le paradoxe, c'est que ce qui donne la vie au Golem, c'est le verbe, c'est un mot prononcé par le magicien souhaitant provoquer le réveil de la créature. Comment filmer cela à l'époque où le cinéma n'entends pas ?

Wegener va chercher la solution et la trouver dans une des multiples variations autour du mythe : c'est un mot écrit sur un papier qui va donner vie au monstre. Matérialiser le mot va permettre, à l'écran, de rendre visuel tout le processus d'animation du Golem.
On cherchera son nom dans un livre, puis, à l'issue d'une cérémonie occulte, l'écriture du mot, d'abord en lettres de fumée, prononcé par le démon Aztaroth, puis en plan très rapproché tracé sur un papier.
La scène d'invocation du démon demeure aujourd'hui encore une scène absolument fascinante, aux effets spéciaux remarquables, et qui à l'époque marqua tant les esprits qu'elle fut reprise deux fois : dans Faust (Murnau) et Metropolis (Lang).

Et ce papier, il faut l'insérer dans le corps du Golem pour qu'il s'éveille. Wegener va avoir une belle idée : c'est une étoile qui scelle le creux dans lequel repose le mot de vie. Ce simple symbole évoque à la fois une puissance qui sera celle, toute atomique, des futurs robots dont le Golem est un ancêtre, aussi bien que les étoiles qui ornent le chapeau des magiciens, capable d'animer l'inanimé. Et enfin, bien sûr, l'étoile qu'on forcera, 20 ans plus tard, les juifs à porter.

Car c'est dans la « ville juive » de Prague que se situe l'action du Golem. Dans les astres, Le Rabbin Loew a lu la destruction prochaine et inévitable du ghetto. Pour sauver la ville, il n'y a qu'une solution : animer le Golem. L'étoile sur sa poitrine, c'est aussi bien sûr celle de David, le « bouclier » de David, puisqu’on pense que l'importance de l'étoile dans la symbolique juive est liée à la forme qu'aurait adopté les soldats juifs pour leur bouclier.
L'étoile sur la poitrine, et le bouclier étoilé, sont aussi, comment ne pas y penser, les emblèmes d'un autre protecteur inventé par des juifs : Steve Rogers aka Captain America.

Le Golem est donc une puissance protectrice pour le peuple du rabbin Loew. L'inévitable va se produire dans ce récit archétypal : la créature échappe à son créateur et à sa cause originale. De protecteur, il va se muer en menace, lorsque ceux qui l'ont éveillé voudront le faire retourner à son sommeil.

Comme dans beaucoup des films muets qui nous parviennent encore et dont quelques images habitent encore l'imaginaire collectif des cinéphiles le Golem possède la simplicité et la force des films séminaux. De lui viendront toutes ces créatures et tous ces robots qui, leur fonction remplie refuseront de mourir de la main de leur créateur et réclameront le droit de continuer à vire. De Frankenstein à I Robot, en passant par Blade Runner, c'est à la naissance d'un des archétypes et des genres les plus puissants que nous assistons.

Bien sûr, pour marquer, il faut proposer une imagerie inoubliable. Tout dans le Golem relève de l'expressionnisme, et chaque image est façonnée pour produire un effet saisissant : les ruelles tordus et les murs penché du Ghetto, tout entiers imprégnés de l'angoisse qui y règne, la silhouette puissant du Golem, rempart vivant contre le danger, l'immense porte menant au ghetto soulignant le poids de l'enferment pesant sur ses habitants …

Si l'imagerie du film est inoubliable, c'est sa fin qui en fait un chef d’œuvre. Comment se débarrasser du Golem ? Personne ne semble capable d'arrêter la créature... Le récit semble s'interrompre brutalement puisqu'un plan nous montre maintenant un groupe d'enfants, couronnés de feuilles, jouant devant les murs de la ville. Cette présence enfantine est saisissante. Les autres comédiens du film jouent selon des conventions, les conventions effectives du métier d'acteurs, pratiquées (et attendues) à l'époque, et plus ou moins valides aujourd'hui.
Mais les enfants, eux, ne jouent pas, et leur apparition, si naturelle, si simple dans le film est d'une grande beauté. C'est une petite fille, bien sûr, qui aura raison du monstre. Évidemment, le dispositif symbolique du film nous invite à voir ici une parabole de l'innocence désarmant le bras armé s'apprêtant à la détruire.

Mais la petite fille retire l'étoile qui garde le Golem en vie comme si, se promenant sur la plage, elle trouvait brusquement une étoile de mer qu'elle s'empressait de ramasser pour l'ajouter à son trésor.

Tout dans le film de Weneger est daté, pris dans la toile de son époque, et tout est sans âge : ces lignes brisées des décors, ce robot protecteur puis menaçant, cette créature à qui un homme va donner la vie, tout cela, nous le reverrons cent fois en cent ans de cinéma. Mais cette petit fille blonde, toute contente d'avoir trouvé un trésor sur la poitrine d'un drôle de géant, d'une certaine façon, on ne la voit que là, et on ne la reverra pas. La beauté de cet instant, en 1920 et pas ailleurs, est pourtant intacte pour nous, aujourd'hui. La magie qui permet ce miracle possède une clef, un mot de vie: "moteur !"



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire