samedi 15 octobre 2011

16-17- Double Feature: le wagon à bestiaux (2): Araignées !



Spider, de David Cronenberg, Canada, 2001
La malédiction de la veuve noire (Curse of the black widow)  de Dan Curtis, Etats-Unis, 1977


Bon, d'araignée dans Spider, il n'y en a qu'une, et on ne la voit pas, c'est celle que le personnage principal a au plafond... On trouve bien quelques toiles dans ce film, celles que tisse ce personnage à la personnalité malade dans la solitude de sa chambre nue et dépouillée de tout autre installation, et surtout celle de sa propre histoire, dans laquelle il demeure empêtré, entre présent, passé et futur, entre confusion des visages et des personnes, mutisme complet et mots de conversations dont on ne sait pas si elles ont vraiment eu lieu et qu'il ne cesse de se répéter, à l'infini, comme coincé dans une boucle, dans les rets de son propre esprit, un piège temporel l'obligeant à un éternel retour du même. Un être hanté par lui-même, par son propre vide intérieur, pourtant lourd de douleur. Nous sommes certes loin des bébêtes d'Arachnophobia ou du monstre de Jack Arnold, mais il y a bien quelque chose de repoussant dans cette histoire, qui n'est pas sans rappeler le dégoût fréquent que l'on peut éprouver à la vision des petits monstres à huit pattes. Essayons donc de reprendre notre fameux questionnaire du Bestiaire du fantastique et tentons d'y apporter quelques réponses, même un peu far(v)elues !

Notre camarade et néanmoins employé Mattias a reçu un blâme pour ce choix de film totalement tiré par les cheveux, à la limite du hors-jeu. A croire qu'il a failli nous gratifier, la semaine dernière d'une chronique sur La sagesse des crocodiles à laquelle nous aurions donc échappé de justesse, dans un sursaut de conscience professionnelle qui n'aura pas lieu cette semaine.
Le chef de gare, lui s'est consciencieusement renseigné, et a dû regarder jusqu'au bout un authentique film d'araignée : La malédiction de la veuve noire, de Dan Curtis.

Place à l'interrogatoire.


Qui est le Chasseur, qui est le Chassé ?
Spider : Il semble bien qu'aucune réponse à cette question ne puisse être apportée. Le personnage de Cronenberg est à la fois le chasseur et le chassé – mais s'il l'on doit à tout prix décider dans quelle catégorie ranger le pauvre homme, choisissons tout de même pour ce qui nous est montré celle du Chasseur, de ses propres souvenirs, de cette femme dont on n'arrivera jamais à déterminer si elle est sa mère, douce et aimante – et pour sa part, grande amatrice d'histoires d'araignée – ou sa belle-mère, créature lubrique et lasse, abîmée, en perdition. Ces deux femmes, qui ne sont peut-être qu'une seule, se sont affrontées à distance, et c'est le père de ce Spider psychotique, plombier vaguement ivrogne et franchement libidineux, qui a finalement littéralement tranché entre les deux, tuant la mère d'un seul coup de sa pelle aux arètes acérées. Spider se souvient de ce moment qui n'a peut-être pas eu lieu, et décide, maintenant ou il y a longtemps, de venger ce meurtre en devenant lui aussi un assassin. Le réseau de ses fils tendus à travers toute la maison s'avère être le système qui lui permettra de libérer opportunément le gaz domestique, et d'empoisonner ainsi cette autre mère, celle qui a remplacé la première et qui pour nous conserve toutefois la même apparence à l'heure de sa mort. Au fond, peut-être le véritable Chassé de ce film, la proie de Cronenberg, comme à son habitude, est-elle le pauvre spectateur, qui sent bien là qu'il participe à la folie du Chasseur...

La malédiction de la veuve noire : Dis-donc les grands esprits se rencontrent ! Car dans la Malédiction de la veuve noire, il est aussi question d'origine douloureuse, de père assassin, de mère provoquant la malédiction de ses enfants. Il y a aussi un ivrogne (repenti), et une maison, à la plomberie tendue de fils... de toile d'araignée !
De quoi s'agit-il exactement : deux jumelles ont connu une naissance difficile, exotique, et aventureuse : accouchée en pleine jungle à la suite du crash d'un avion conduisant leur mère, et piloté par leur père, vers des cieux meilleurs qu'elles n'atteindront jamais, vont devoir survivre à ces premiers jours au milieu de la nature la plus sauvage. Elles y parviendront, mais l'une d'entre elle est piquée par des insectes, à tel point qu'on pense qu'elle va mourir. Les insectes, évidemment, vont s'avérer être des araignées. Ce passé des héroïnes du film, nous ne le verrons pas à l'écran, étroitesse du budget, et paresse de l'imagination obligent. Dommage, il avait matière dans cette biographie exotique à peindre un flashback aventureux, dans le goût de ce que fit Peter Jackson au début de Brain Dead, sans se cacher derrière un budget sans doute encore bien moindre que ce dont bénéficia Dan Curtis.


Quelle est la place de l'américain moyen dans la Grande Chaîne Alimentaire ?
Spider : En l'occurrence, l'américain est plutôt anglais, habitant de l'East end londonien, à l'instar de quelques grands aînés, parmi lesquels on trouvera bien entendu notre fameux Jackie le Ripper, qui avait lui aussi l'habitude de confondre ses victimes « de mauvaise vie » avec ses obsessions toutes personnelles. L'intérêt fantastique et plastique du film de Cronenberg en l'espèce est bien qu'il revendique assez fortement cette imagerie du Londres morbide célébré par tout un cinéma de genre. Les hauts murs de briques, les réseaux de fils et de câbles, les baraques de bois branlantes, les pubs enfumés et mal famés, tout cela pourrait aussi bien appartenir au Londres du XIXème siècle, celui de Docteur Jekyll et Mister Hyde, celui de l'Elephant Man, celui de Sweeney Tod., qu'à un Londres contemporain dans lequel une pauvre âme hantée s'est isolée Un Londres dans lequel une araignée semble bien perdue au milieu des zones industrieuses, même si elle conserve alors toute sa capacité d'étrange répugnance.

La malédiction de la veuve noire : Sa place est essentielle : l'Araignée ne se nourrit que de sang humain ! Et le sang américain, ça doit être bien bon : bien gras, bien sucré, un peu moustachu, à un moment du film. La malédiction de la veuve noire nous prouve qu'à l'instar des extra-terrestres, on se demande, sans américain moyen, sur quoi pourraient bien s' abattrent les monstres géants.

Et cette araignée, alors, comment est-ce qu'on s'en débarrasse ?
Spider : Et bien, on ne s'en débarrasse pas apparemment, ou plutôt on la renvoie à l'asile d'où elle n'aurait jamais dû sortir. La toile qu'elle a tissé de toute façon est sa plus grande prison. Il n'y a pas besoin de s'en débarrasser, elle s'en est chargée elle-même...

La malédiction de la veuve noire : Avec une grosse bougie, où presque : une lampe à huile, que le héros trimballe justement pour explorer son antre. On se demandait justement pourquoi la personne bienveillante qui avait constaté que le réseau éléctrique de la veille bâtisse ne fonctionnait plus avait choisi de laisser une vieille lampe à huile et des allumettes plutôt qu'une torche éléctrique. C'est que sa gentillesse va jusqu'à prévoir de quoi supprimer une araignée géante !

Au premier rendez-vous, est-ce que la bête embrasse ?
Spider : Sûrement pas. Il y a quelque chose de la peur des femmes qui est assez manifeste dans ce film, et d'ailleurs dans de très nombreux films de Cronenberg. C'est probablement là l'un des traits intéressants de son cinéma. Il lui est plus simple de nous faire entrer dans la psychologie altérée d'un homme qui devient une mouche – et dans La mouche, il y a vraiment une mouche – ou dans celle d'un malade qui semble se conformer à quelque obsession arachnéenne, que de faire face au mystère d'une singularité féminine qui lui semble toujours occasion de perfidie. Cronenberg semble incapable de distinguer entre la vertu et le vice chez la femme, jusqu'à confondre ses personnages, et cette angoisse morale semble bien nous indiquer ce qu'il y a chez lui de confusion entre le réel et le fantasme – et quel petit garçon lui et tous ses personnages masculins peuvent demeurer en matière affective. Que l'on pense aux frères jumeaux de Faux-semblants, au scientifique de La Mouche, ou même encore plus récemment au tranquille Tom Stall de History of violence, leur moment de de faillite intervient d'une manière ou d'une autre à l'occasion de la découverte de l'ambivalence foncière de leur « compagne ».

La malédiction de la veuve noire : Et comment ! Jusqu'à la dernière goutte, car c'est en dénudant sa poitrine que la femme, pas encore araignée, prend dans les fils inextricables de sa propre libido sa première victime. Le baiser vorace qui s'ensuit terminera par une transfusion sanguine des plus brutales.


As-tu vu un bon film ?
Spider : Oui, même s'il n'a rien à voir avec un film d'araignée en fait. Et même si continue de se poser la question de savoir si la folie fait un bon sujet de film fantastique. Il me semble tout de même que non, le fantastique fonctionnant plus sur notre rationalité – même trop-pleine – que sur notre absence de raison. La folie est vide, toujours, à l'image d'une gangue vidée de sa substance – comme celles que peut laisser une araignée dans sa toile lorsqu'elle a fait le vide de ses proies...

La malédiction de la veuve noire : Oh non. Je ne suis pas de ceux qui peuvent se régaler d'une médiocrité presque totale, quand bien même elle mélange en les respectant les codes de deux ou trois genres. Ici nous avons droit à un film de loup-garou, le seul changement étant l'araignée à la place du loup : transformation pendant les nuits de pleine lune, et amnésie de la part innocente du monstre lorsqu'elle se réveille. Du film de monstre géant, aussi, puisque la veuve noire en question est démesurée. Du psycho-thriller, enfin, puisque tout démarre par une enquête policière et qu'il est question de meurtres, de maman qu'on croyait morte, mais en fait cloitrée mi-folle à l'étage de la maison, de jumelles maléfique, de travestissement du vice en vertu. Il semble bien que le fantôme de Psycho, d'Alfred Hitchcock soit venu aussi par intermittence visiter les scénaristes de cette veuve noire.
La fin pirouette, comme on avait déjà signalé qu'il était de bon ton de le faire à l'époque. Un mot de la mise en scène : Grammaire strictement télévisuelle ; la visite de l'antre de la bête, à la fin,étant l'occasion pour Curtis, non pas d'un bref moment d'inspiration plastique, mais de cadrer en gros plan le visage de son acteur traversant des toiles d'araignée et feignant l'angoisse, la peur, puis la terreur, puis la détermination, et enfin la combativité. On ne dira pas que Tony Franciosa joue mal.
D'un point de vue strictement personnel, j'ai apprécié que le récit se joue entre trois figures féminines intéressantes, la mère, les deux jumelles, qu'un cinéaste plus talentueux que Curtis aurait pu illustrer d'une manière bien plus prenante. David Cronenberg ? Pas sûr, je suis sûr qu'il aurait été capable d'enlever l'araignée géante !



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