jeudi 20 octobre 2011

22 - Les gardiens du temple : Amer, Hélène Cattet et Bruno Forzani, France/Belgique, 2010

C’est finalement arrivé. Au fil des pérégrinations filmiques de ce mois d’octobre, voici une œuvre qu’il me sera bien difficile de défendre… Comme je n’ai nulle envie de fracasser un film, je me contenterai plutôt de tenter d’en tirer quelques conclusions au sujet du genre, une fois de plus, même si au passage mes propos trahiront sans doute l’exaspération qui fut la mienne à la vision de cet Amer peu amène.

Pour commencer, débarrassons-nous tout de suite de l’histoire sensée être racontée dans ce film construit en trois parties. Tout d’abord une petite fille, Ana, déambule dans les espaces vides et inquiétants d’un grand manoir où l’on croise régulièrement sa mère, une espagnole énervée, qui ne cesse de réprimander sa fille, son mari et celle qui semble être sa bonne, une mystérieuse femme toute voilée de noire. La petite fille se réfugie dans ce qui semble être la chambre mortuaire du grand-père, à l’étage, mort ou mourant, l’on ne sait pas bien – mais dont le visage parcheminé pourrait évoquer une momie conservée là et veillée par la fameuse femme en noir, son amante ?, ça non plus nous ne le saurons pas. La petite fille dérobe au cadavre une montre à gousset qui semble régler son angoisse comme l’on laisse passer le temps. La seconde partie nous présente cette même Ana, devenue adolescente, en compagnie de sa mère d’abord dans un cimetière, puis sur les rivages de la méditerranée – le film a été tourné à Menton – où elle flirte de très loin avec une bande de jeunes motards en errance. Enfin une dernière séquence (ouf !) nous présente Ana à l’âge adulte, qui investit à nouveau cette grande demeure qui semble abandonnée. Au beau milieu de la nuit, un homme apparaît et la pourchasse depuis l’habitation jusqu’au jardin. Elle finira pourtant par le terrasser, à coups de scalpel (!) – à moins qu’en fait, comme nous l’évoque l’épilogue, ce ne soit elle qui fût assassinée, puisque les dernières images nous la présente sur la table d’examen d’une morgue, offerte au regard d’un médecin légiste qui restera lui aussi mystérieux…

Voilà le concentré des énigmes de ce film à l’histoire tellement secrète et absconse, qu’elle en devient inepte d’absurdité. Mais après tout, est-ce là un véritable problème dans ce genre qui manipule d’abord et avant tout les images, afin de fabriquer des formes percutantes, bien plus que des discours sur ces formes ? L’ennui avec Amer, c’est que précisément, ce film prétend fabriquer un commentaire sur le fantastique. Un cinéma d’hommage en quelque sorte, et qui ne cesse de s’auto-célébrer dans la citation d’images extraites du genre. C’est oublier que le cinéma fantastique n’est rien en soit, ou plutôt rien d’autre qu’une catégorie quasi-marketing, qui sert d’abord et avant tout le commerce du cinéma, et que si ce cinéma existe, ce n’est qu’à travers des films, objets uniques et indivisibles, qui ne disent rien d’autre que ce qu’ils montrent – contrairement à ce que notre blog automnal pourrait paradoxalement laisser croire. Le seul mimétisme avec ce cinéma, ou plutôt avec certaines des images que l’on extrait de films importants, ne peut conduire dans le meilleur des cas qu’à un commentaire fastidieux et vain – pourquoi refaire la fameuse scène de douche de Psychose, puisqu’elle a déjà été faite ?- dans le pire des cas, à la parodie, à la « singerie », comme l’on parle de singe savant, qui montre les quelques tours qu’il a bien appris. Nous ne sommes pas loin de cette vaniteuse prétention dans Amer, et ce film pose à mon sens une fois encore hélas, le très difficile rapport du cinéma de genre au cinéma français…

Tout se passe comme si le fantastique n’avait de valeur comme genre qu’en tant qu’il peut être un espace savant, d’avertis - branché, si nous voulions être moins sympathique. Le fantastique légitime est réservé à cette frange très marginale des spectateurs français, qui non seulement se présentent comme des érudits du genre, mais aussi comme les « copistes » d’une tradition qu’il s’agit désormais de révérer. Une telle attitude, qui voit des gens de cinéma non plus faire du cinéma à partir du réel, mais bien strictement à partir du cinéma lui-même, se retrouve chez de nombreux metteurs en scène d’origines et de destinations très diverses, que l’on pense par exemple à Tarantino qui fut, semble-t-il, l’un des grands défenseurs de cet Amer tant frenchy, sans pour autant entamer la force du genre. Mais c’est aussi, probablement, que ces dévots du genre ne le sont chez eux, et par conséquent partout ailleurs, que d’une manière elle-même marginale ; un film ne bénéficie pas de la somme des films auxquels il rend hommage. Si les films de Tarantino sont appréciés par un certain public occidental, ce n’est pas parce qu’il utilise les musiques d’Ennio Morricone, ni parce qu’il cite dans Kill Bill le film suédois A cruel picture, que très peu de ses spectateurs ont vu, mais bien parce que le film s’affranchit de ces références et citations, se libère de cette culture prétendument érudite qui serait seule l’instance de légitimation du genre. Le fantastique n’est pas légitime, c’est tout son intérêt. Il est en tant que genre le produit d’une sous-culture littéralement ignoble et mercantile. Mais les films fantastiques, eux, peuvent parfois atteindre des sommets de beauté dignes de rivaliser avec les « classiques » du « 7ème art », bien entendu. C’est dans cette ambivalence que le genre porte sa vertu – parce que précisément, il se dispense, et il revendique dans son essence même cette dispense, d’être légitime, de « bon goût », savant, culturel.

Amer nous offre des tombereaux d’images léchées, dans lesquelles l’on peut décoder le rouge et le bleu de Dario Maestro Argento, de gros plans composés, un œil, des lèvres, une cuisse, à la manière d’un Buñuel, de portraits hitchcockiens, de split-screen depalmesques, d’obscurités lynchiennes, etc, etc, auxquels nous sommes tenus d’adhérer, si nous voulons prouver par là notre appartenance, non à la catégorie de ces gamins appréciant le genre pour les histoires qu’il raconte et les images qu’il montre, mais bien à celle de ces esthètes dont le niveau de sophistication risque toutefois de leur faire prendre des vessies pour des lanternes ! Nous ne pouvons certes que regretter l’ostracisme dont fait preuve ce cinéma dans le monde culturel et cinématographique français. Mais nous pouvons aussi considérer que la stratégie qui consiste à vouloir légitimer des œuvres qui par définition demeureront « à l’index » de la culture légitime n’est qu’un moyen de dénaturer définitivement ce genre aux multiples ressources, des pires aux meilleures, et le châtrer en n’osant pas assumer sa part essentielle de transgression. Amer n’est jamais transgressif, surtout pas quand il prétend flirter avec l’érotisme – et je ne peux à ce propos que vous renvoyer vers le commentaire de mon camarade au sujet de Dellamorte, Dellamore, un film italien qui n’hésite jamais à honorer son propre engagement, et qui ne dispense pas Michele Soavi, son metteur en scène, d’être en mesure de porter par l’image un discours, non sur le genre – quel intérêt ? cet exercice vain est réservé aux blogueurs que nous sommes ! – mais sur son rapport au monde tout simplement, comme n’importe quel artiste, mais pour sa part libéré du terrible assujettissement à la culture légitime, autre nom aujourd’hui d’une Eglise dont l’autorité reste très difficilement contestable dans notre pays – si l’on ne veut pas simplement se retrouver assigné au statut de suppôt du capitalisme marchand imbécile. C’est vrai qu’avoir le choix en France entre les Mini-Moys d’un côté, et de l’autre cet Amer prétentieux et indigeste, c’est assez peu excitant. Certes, j’oublie là quelques vraies surprises, dérangeantes, comme par exemple le Martyrs de Pascal Laugier, toutefois encore empreint de certaines de ces tendances à l’autojustification ; mais il faut bien admettre qu’imbéciles ou prétentieuses, la plupart des œuvres produites par ce cinéma français se camouflent derrière ce phénomène qui tue littéralement le fantastique : la référence, le second degré – in fine, la dérision, arme redoutable de la petite télévision contre le grand cinéma. Mais arme aussi des chapelles culturelles, qui méprisent aussi vite qu’elles encensent, à l’instar de son ennemie télévisuelle.

Et qu’il soit rappelé ici que ce que l’on aime chez un grand cinéaste comme Tarantino, c’est bien ce qui chez lui finit toujours par dépasser cette seule dérision. Et notamment, son amour sincère et lucide du cinéma. Tout ce que l’on ne trouve pas dans Amer, qui se contente d’auto-célébrer sa propre érudition, qui ne signifie rien… Si vous cherchez un film fantastique, un vrai, revoyez plutôt Le Labyrinthe de Pan – ces dernières années nous ont montrés qu’en Espagne, ils s’étaient largement affranchis de cette tutelle embarrassante de la légitimité. Profitons-en pleinement !


1 commentaire:

  1. Heureusement que tu n'avais pas l'intention de "fracasser" ce film...

    Concernant, le film de genre fantastique à la française contemporain, il est pour sa grande majorité chiant/mauvais et/ou a tendance à la prétention référentielle d'aller au-delà des références, de pèter plus haut que son cul pour le dire trivialement, comme dans "Amer" visiblement. Même Wes Craven s'y met avec son abominable "Scream 4" (il s'y est mis depuis un moment) qui dénonce ce qu'il est effectivement en train de faire... Bref, comment vendre un tel film ? Les geeks doivent-ils réaliser des films ou en rester au court-métrage de festival ? Les geeks peuvent-ils se débarrasser de leur complexe de supériorité absolue d'être soi-disant mal considéré ? :-) Et dans un ciné français dominant chiant comme un jour sans nuit, comment réaliser un bon film fantastique ?

    Je me souviens d'un "Promenons-nous dans les bois" pas si mauvais. "Martyrs" et "St-Ange" restent à part. Pour un "Martyrs", combien de conneries comme "Brocéliande" ou le ridicule "Humains" ? "Frontières" dans le genre con est rigolo.

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