lundi 24 octobre 2011

27- L'amour fou : Quelque part dans le temps (Somewhere in time), Jeannot Swarc, Etats-unis, 1980


On a parfois envie de dire de certains films, trois ou quatre, qu'ils sont les plus beaux films du monde. On le dit parce que ce sont des films qu'on aime intimement, parce qu'il y a ces quelques là contre nous, et puis tous les autres, qu'on veut bien partager. Il faudrait dire ce sont les plus beaux films de mon monde, parce que devant eux, on a le sentiment si fort que tout y est dit, que tout en part et que tout y revient, que ces trois ou quatre films là ont n'ont été tournés que pour nous. Au spectacle de ces films, le sens critique disparaît à mesure que les larmes, à la fin, toujours nous montent aux yeux et que sans doute, c'est tout ce qu'il y a à savoir, et à dire de ces films là.

Somewhere In Time est le plus beau film de mon monde.

Si vous ne l'avez jamais vu, ne me lisez pas plus, parce que d'un film comme celui-là, on a juste envie de dire : tu verras, c'est sublime.

Jeannot Swarc, son réalisateur, a mis en images Les dents de la mer 2, Supergirl, La revanche d'une blonde, Hercule et Sherlock. Ce n'est ni un auteur, ni un grand réalisateur.

Pourtant, il a fait exister Quelque part dans le temps, et la grâce qui le toucha lui et tous les acteurs impliqués, à ce moment là et plus jamais ensuite, ne fait certainement qu'ajouter au miracle de son existence. Une convergence de petits hasards, une inspiration indéfinissable fait de ces artistes à ce moment là, quelque part à la fin des années 70, des attrapeurs de foudre.

A l'origine du film, il y a un roman un peu particulier de Richard Matheson, scénariste génial de chefs d’œuvres comme L'homme qui rétrécit ou La quatrième dimension. Son influence sur le cinéma fantastique moderne est immense, et s'exerce encore aujourd'hui. On reconnaît dans l'argument du film une accroche typique de Matheson, par sa simplicité mais aussi par l'évidence et la profondeur des émotions qu'elle suscite immédiatement.

Qu'on en juge : Dans l'hôtel ou séjourne un jeune dramaturge traversant une profonde crise d'inspiration, un petit musée abrite une photo d'une actrice y ayant donné une représentation, 60 plus tôt. La découvrant, le jeune homme tombe fou amoureux d'elle. Au point de vouloir remonter le temps pour la rencontrer.

Christopher Reeve incarne Richard Collier, l'auteur en mal d'inspiration jusqu'au mal de vivre. En quelques scènes, au début du film, élégantes, Swarc esquisse le personnage. Il nous suffit de le voir devant la grande baie vitrée de son appartement, perdre son regard dans les immeubles de la ville en contrebas puis se mettre devant sa machine à écrire pour froisser une feuille, ni la première ni la dernière certainement, pour comprendre que l'impuissance et une grande mélancolie l'habitent.

La photograhie de Isidore Mankofsky n'a rien de tape à l'oeil. Il a beaucoup oeuvré à la télévision, et on le sent dans ces images aux ombres très douces, peu contrastées, lumineuses. Ce sont bien plus les couleurs des objets devant la caméra que l'éclairage ou le choix de pellicule qui créent la chromie du film. La direction artistique est tout aussi élégante, et tout pourrait avoir été tourné en décors naturels.

Pourtant, dès cette scène (qui n'est pas tout à fait la première), muette, par l'image mais sans avoir recours à des moyens grandiloquents, Swarc nous montre simplement que Richard Collier est devenu un créateur dans une tour d'ivoire. Il est, dès le début un être près du ciel. Le réalisateur joue-t-il consciemment avec l'image que Reeve cherche à quitter à ce moment là ? Comment ne pas penser à Superman ? Voir ce que l'acteur accomplit ici remplira d'émotion ceux qui ont cru avec lui qu'un homme pouvait voler : ce qu'il semble nous dire à travers son Richard Collier, c'est qu'en Superman, plus qu'un Hercule moderne et indestructible, il voyait un Icare.

La brève description de Collier est une représentation romantique de l'auteur : agacé de ne pouvoir écrire, il coupe brusquement la musique que diffusait sa platine et qui sans doute, devait palier à ce qui lui manque de toute évidence : l'inspiration. Où la trouver ?

Peut-être que Superman (enfin, Richard Collier) est resté trop longtemps loin des hommes : la compagne avec qui on l'a vu plus tôt l'a quitté, et à attendre une inspiration qui ne vient plus, il se dessèche. Il est temps de revenir sur terre : Swarc nous le montre descendant un escalier, puis un autre, puis prenant l’ascenseur. Le chemin est long (pourtant l'appartement n'est pas situé très haut) mais Swarc insiste sur cette descente, on se dit qu'il a du monter tout près des étoiles pour avoir à redescendre si longtemps. Collier prend sa voiture et va retourner à la source des heures les plus vibrantes de sa carrière alors jeune : le Grand Hotel, où eu lieu la fête suivant une représentation encourageante de sa première pièce.
Le héros est donc aussi un nostalgique.

Cette petite fête, nous y avons assisté en ouverture du film. C'est un moment magique. Si sa mise en scène, comme le reste du film, est merveilleuse de simplicité et de retenue, on y reconnaît la plume de Matheson : une situation presque fantastique, une forme (ici celle du cinéma : cadrage, bande son et mouvements de caméra ) qui s'efface derrière l'interprétation des acteurs, un déroulement très direct. Fendant la foule des jeunes gens, une vieille femme s'avance vers Collier, il ne la connaît pas et pourtant, il a l'air bouleversé en la voyant. Elle lui glisse un objet dans la main, et lui murmure : Reviens-moi (« Come back to me »).

C'est une montre qu'elle a donné au dramaturge, et l'objet est bien sûr symbolique de ce qui va être raconté ensuite et sera régulièrement consulté par les personnages tout au long du récit. Mais revenons à l'hôtel.

Richard s'y promène, toujours aussi désoeuvré. Il est attiré par un petit musée présentant quelques reliques jalonnant l'histoire de la vieille bâtisse. Il se penche sur les vitrines, et quand il se redresse et se retourne, une photo lui fait face. C'est une illumination.

Fidèle à l'esthétique mise en place, le cinéaste va oser la montrer littéralement. Un faisceau de lumière qu'on ne peut qualifier que de divine tombe d'un coup sur la scène, et c'est aussi un coup de foudre. Sous nos yeux, Christopher Reeve accomplit l'impossible : nous faire croire qu'un homme tombe amoureux d'une photographie.

Elle représente Elise McKenna , personnifiée par Jane Seymour.

Richard devient obsédé par cette image au point de penser qu'il peut remonter le temps jusqu'en 1912 après avoir rencontré un scientifique présumant qu'il doit être possible de voyager dans le temps, d'une manière qu'on devine toute symbolique pour lui, en pratiquant sur soi une auto-hypnose. 1912, C'est l'année où Elise Mc Kenna a séjournée au Grand Hotel, et où la photo a été prise.

Richard va réussir. Swarc, qui demande au spectateur depuis le début d'accepter de se laisser gagner par les sentiments de Collier et ne nous place que de son point de vue, veut faire de son attente la notre et retarde le plus possible l'entrée dans le champ d'Elise. L'attente et les inquiétudes de Richard deviennent les nôtres, et la nervosité qui précède le premier rendez-vous est croquée avec un humour délicieux par Reeve, formidable acteur comique. Il joue ici de son grand corps gauche, maladroit, et finalement bien peu viril avec un finesse irrésistible. Plus d'une fois, on pense a Charlot en voyant sa grande silhouette de dos, coiffée d'un chapeau rond.

Quand Elise entre en enfin en scène, c'est au double sens du terme : elle doit jouer le soir même au théâtre du grand hotel. Son arrivée tardive à l'écran va rendre d'autant plus belle la romance entre les deux personnages, qu'elle est comprimée dans le temps du film, aussi bien que dans celui des personnages. Pudique, Swarc laissera la musique de John Barry couvrir les mots échangés par les amants dans la scène où ils se parlent vraiment pour la première fois.

Au soir de leur rencontre, pendant la pièce qu'elle joue, et qui semble contre toute attente être une pièce comique un peu boulevardienne, Elise va improviser une déclaration à Richard présent comme spectateur, et tout à coup, l'artifice des dialogues de la pièce, qu'on a brièvement entendu avant, paraît d'autant plus fort que les paroles sont sincères et le ton bouleversant. Le monologue, qui ne s'adresse qu'à un spectateur, fait écho à notre propre sentiment : un film comme celui-là ne peut s'adresser qu'à nous, intimement.

Plus finement qu'il n'y paraît, Quelque part dans le temps construit de belles scènes sur le rapport de l'auteur avec sa création, du personnage et de l'acteur, de ce qu'on met au cœur d'une œuvre. Il s'agit évidemment d'une vision totalement romantique, l'exaltation des sentiments et de l'être, constamment à la recherche d'une sublimation. Toute la préparation du voyage par Richard s'apparente à une mise en scène, une production cinématographique même : recherche de documentation (auprès de la biographe), paramètres techniques (visite au professeur de philosophie) fabrication des costumes, des accessoires et du décor (Achat du 3 pièces et des pièces de monnaie ), répétition ( Richard mimant sur différents tons les premiers mots qu'il adressera à Elise ) puis enfin, il faut (se) faire un film. Pour cela, Richard s'allonge sur son lit et va finir par s'endormir. Être un artiste, ce serait donc cela : rêver comme un fou. Et, comme pour filer jusqu'au bout la métaphore, c'est uniquement par la grâce d'un changement d'éclairage- soit une stylisation extrême du procédé cinématographique- que s'opère le glissement dans le temps.

Si l'on n'avait le sentiment que tout le film est constitué d'un bloc compact d'images et d'émotions dont il est bien difficile de détacher des moments forts et des moments plus creux, on pourrait s'attacher à décrire la beauté de la scène montrant comment fut prise la photo dont Richard tombe amoureux. Essayons tout de même.

A l'entracte de la représentation à laquelle Richard assiste dans l’hôtel, Elise est priée, en coulisse, de poser pour une photo. L'éventail qu'elle tient et l'angle de vue choisi pour la prise de vue ne permettent pas le doute : c'est la photo exposée à l’hôtel qui va être impressionnée. Pourtant, quelque chose ne raccorde pas, et le photographe le remarque : le sourire manque de sincérité. Puis le visage d'Elise s'illumine. C'est qu'elle vient d'apercevoir Richard qui la regarde. Depuis le contrechamp de la photo.
Lorsqu'il voit cette image pour la première fois, 60 ans plus tard, Richard ne sait pas qu'il se tient, 60 ans plus tôt, dans son hors champ, et que c'est bien à lui, déjà, qu'elle sourit.
On peut voir là, au delà d'un idée de mise en scène magnifique, le fantasme d'un cinéaste désespérant de s'abîmer pour toujours dans le monde de ses images.

Quelque part dans le temps est un film d'une intensité difficile à décrire, d'une délicatesse et d'une beauté dont je connais peu d'équivalent. Christopher Reeve, lumineux et écorché y dévoile une âme romantique insoupçonnée, qu'il ne montrera plus jamais si sincèrement.

Lorsqu'à la fin, à bout de désespoir, Richard vient se blottir contre la photo de la femme qu'il a aimée, qu'il a perdue, celle la même que nous avons vu, au crépuscule de son existence, serrer contre elle les mots écrits par son amour, les images qui viennent à notre rencontre nous rappellent combien nous avons besoin d'être consolés de cette tristesse sans fond : nous aimons, et ceux qu'on aime disparaissent, la froideur du verre qui nous sépare de leur image inanimée, sous nos doigts, ne fait que nous rappeler combien ils furent chauds et vivants, qu'ils ne seront plus jamais près de nous, et qu'ils nous manquent, parfois à la folie.











6 commentaires:

  1. Plus que 27 minutes... allez, au boulot ! On attend, nous ! Tiens pour patienter je vais me remettre la sublime musique de Barry...

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  2. Je suis un peu en retard, je réécris, je réécris, c'est largement l'article le plus difficile à écrire... Je suis à court de superlatifs, et si j'avais la joie de posséder la musique de Barry, je ferais comme toi !

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  3. aahh! un film que je rêve de voir depuis longtemps!
    mais où le trouver?

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  4. C'est compliqué. Il a eu un zone 2 français, mais je ne l'ai pas trouvé, je pense qu'il est devenu très rare. moi j'ai un Zone 2 anglais, mais il n'y a pas de sous titre. Le niveau d'anglais est assez simple, et je pense que même en Javanais le film garderait la même force, mais voilà, il faut être un peu bilingue !
    Je pense que tu adorerais ce film. C'est très proche d'un autre des plus beaux films du monde: L'aventure de Mme Muir, et, je ne l'ai pas dit dans l'article, mais Somewhere in time est un magnifique portrait d'homme.

    Je crois que le film passe régulièrement à la télé, à toi de guetter le programme !

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  5. On le trouve sur Amazon en Z2 à environ 30€. Mais effectivement, ce chef-d’œuvre est rare.

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  6. mais je pense que c'est le Z2 anglais, qui n'a pas de sous-titres. Si c'est le français, 30€, ce n'est rien pour un film comme celui-là...

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