lundi 3 octobre 2011

3- Ave Barbara : L'Emprise (The Entity), Sydney J. Furie, avec Barbara Hershey,1981, Etats-unis.


 C'est la promesse d'une possession lubrique qui attirera immanquablement le spectateur à la rencontre de L' emprise, de Sydney J. Furie, dont la plupart des affiches exposent sans ménagement un corps féminin entièrement nu, que nous sommes invité à attribuer à Barbara Hershey, qui interprète l'héroïne.

Au croisement du film de possession et du film de maison hantée, ce sont donc des arguments particulièrement racoleurs que Sydney J. Furie emploie pour nous faire entrer dans le récit.
On nous présente Carla Moran, femme seule élevant ses enfants. Mais ce qui va être très vite menacé, ce n'est pas tant l'intégrité de la famille, que celle, physique et mentale de Carla.

Pourtant, quand nous faisons sa connaissance au début du film, elle a tout de cette super woman typique que nous croiserons tout au long des années 80, mères courage ne baissant jamais les bras et cadres efficaces d'entreprises entreprenantes. Carla réunit toutes les qualités, et si nous la voyons revenir au début du récit dans une maison bien désordonnée occupée par des enfants rétifs à la notion d'entraide domestique, il en faut bien plus devine-t-on, pour ternir son humeur et éteindre son sourire.

La maison est vide, mais Carla sait où trouver son homme : au garage, à bricoler le moteur de sa voiture. Son homme ?
Habilement, Furie laisse flotter l'ambiguïté, puis lève le doute : Billy n'est pas le mari de Clara, mais son fils ainé. Sitôt le malaise instillé par cette adroite ouverture, le film assène sans prévenir sa première séquence de possession avec une brutalité inouïe. Et pour cause : Clara est violée dans sa chambre par une entité invisible. Ne pouvant se reposer sur des plans larges qui rendrait la scène ridicule, ne bénéficiant pas d'effets spéciaux aussi performants qu'aujourd'hui pour figurer l'invisible, c'est presque exclusivement sur les épaules de Barbara Hershey que repose la réussite de la scène, et du film. 

La douleur sur son visage et les secousses sans ambiguïté qu'elle imprime à son corps (ou celui de sa doublure...) et qui font immédiatement ressentir quel genre d'assaut elle subit sont saisissantes et balayent d'un seul coup le scepticisme du spectateur. Il faut dire que la musique de Charles Bernstein, très radicale, presque exclusivement constituée d'une percussion sèche répétée ad libitum, contribue aussi largement au sentiment d'oppression inéluctable produit.

Malgré les tentatives de Clara pour lui échapper, les agressions de l'entité vont continuer. Sinon son invisibilité, rien ne la distingue d'un mari violent, et Carla Moran vit la descente aux enfers de la violence conjugale : le soulagement en se réfugiant chez une amie, la peur du retour au foyer lorsque cette échappée provisoire prend fin, l'espoir que les agressions cessent, le désespoir quand elle reprenne et qu'on comprend leur caractère inévitable. L'espoir que les choses s'arrangent d'elles mêmes, lorsque le monstre, particulièrement pervers, vient prendre Carla dans son sommeil, avec douceur, et lui permettra même d'atteindre un orgasme. Puis la résignation, l'acceptation de la fatalité de la relation et de sa perversité. Cette description, simple, constitue le meilleur du film, qui derrière son argument fantastique, est un portrait de femme beau et touchant. Ne serait-ce que pour son actrice principale L'emprise mérite d'être vu, même si on est rétif au cinéma fantastique.

Fantastique qui d'ailleurs empêche un traitement rationnel de l'intrigue : Carla ne peut pas aller voir la police californienne, pour dénoncer l'homme invisible. Dans une logique faisant écho à celle évoquée hier, rationalistes et croyants vont s'affronter autour, du cas de Carla. C'est d'abord vers la raison que Carla va cherche de l'aide, en la personne d'un psychiatre, auquel Ron Silver prête ses trait et sa barbe, belle figure de patriarche rassurant. Bien sûr, quand on sait de quoi Ron est capable dans Blue Steel, de Kathryn Bigelow, on n'est pas tout a fait rassuré mais il s'agit d'une fausse piste : le docteur Sneiderman veut que Carla guérisse.

Car pour lui, et ses collègues, Carla est malade. Porteuse d'un passé terrible, pour le psychiatre il ne fait aucun doute que Carla est une grande névrosée dont les agressions sont imaginaires, même si leurs symptomes sont visibles dans sa chair : il la découvre une jour couverte de bleus et d'hématomes.

Rétive à cette explication- brutalement présentée comme une vérité par un Sneiderman finalement excédé- Carla va se tourner vers une équipe d'universitaires étudiant le paranormal. Se faisant, elle va devenir l'enjeu d'un conflit entre les deux équipes, qui partagent le même campus. S'ils sont tous présentés comme des scientifiques (blouses blanches pour tout le monde, instruments de mesure et technologie pour les para-psychologues, réunions autour de tables couvertes de livres et de dossiers pour les autres ) l'équipe de psychiatres voit d'un très mauvais œil la présence de ceux qu'ils considèrent comme des charlatans, pensant pouvoir aider Carla, au contraire entretenant son délire.

A l'instar du spectateur de Knowing hier, nous savons avant les personnages, car dès le départ Furie a pris soin de rendre concrète et sans ambigüité l'existence de l'entité. On la devine projetant Billy, le fils de Carla, contre un mur, et lui brisant même le bras. Pour nous, il ne fait aucun doute qu'il faut croire en l'existence de la chose. C'est évidemment une des faiblesses du film que de n'en avoir pas retardé la révélation.

Croyants et rationalistes se disputent donc : Carla doit-elle se défendre contre un démon invisible qui vient la tourmenter, ou doit-elle accepter pour s'en débarrasser, de le reconnaître comme un produit de son imagination, et un symptôme de souffrances encore vivantes en elle ?

Le film peut aussi se lire à l'aune de la question de la croyance et il n'est pas interdit de rattacher l'Emprise à ces films montrant l’avènement d'un antéchrist sur terre : Carla serait une sorte de Marie, visitée par un Archange Gabriel démoniaque, en une annonciation inversée.
Mais croire « à l'envers » c'est bien sûr toujours croire, et psychiatres comme enquêteurs de l'étrange, tous sont convaincus que ce que subit Carla à un sens, ou une origine, et qu'il suffit d'altérer cette cause initiale pour faire cesser les attaques. En somme, un bon petit coup de tournevis, qu'il soit donné par un psychiatre barbu ou par une parapsychologue avenante, c'est quand même le bon petit coup de tournevis qu'il vous faut.

Sneiderman veut que Carla accepte l'existence de pulsions inavouables vivant en elle- les pulsions incestueuses que le film nous suggère dès le début, et qui ne sont pas moins réelles que l'entité invisible. Les chasseurs de fantômes, eux, dans une inversion de point de vue amusante et habituelle dans le cinéma fantastique vont proposer une solution bien plus concrète : congeler la bestiole. On se souviendra que six ans plus tard, l'approche fonctionne toujours dans Predator, de John Mc Tiernan : une autre menace invisible met à mal un commando de mercenaires, qui lui répondront avec le même bon sens : Si elle peut saigner, elle peut mourir.

Le monstre de L'Emprise, lui, s'il est très chaud, peut aussi avoir très froid. Car, au grand désespoir de Sneiderman, Carla va accepter de se prêter à la mise en scène imaginée par le groupe de chasseurs d'entité, et risquer sa vie pour le surgeler instantanément dans une cascade d'azote liquide. On notera une jolie idée : pour attirer le monstre, les chasseurs ont reconstruit un fac-similé de la maison de Carla, lieu de tous les tourments, et semble-t-il vecteur indispensable à l'excitation du monstre. L'installation est d’ailleurs identique à celle d'un studio de cinéma, et si Furie avait un peu de ressource, il en aurait profité pour établir un parallèle avec les jeux de rôles mis en place dans certaines approches psychiatriques. On imagine les jeux d'emboitements, les faux semblants narratifs qu'un cinéaste plus habile aurait construit à partir de cette belle idée.

C'est le tour de manège final traditionnel que nous propose à la place le réalisateur, et après avoir un peu fait tachycarder ses personnages, tout est bien qui finit bien : on a même droit à un aperçu du visage du monstre avant sa destruction, à peu près aussi impressionnante que la chute d'un esquimau sur le carrelage de la cuisine.

Sneiderman va rejoindre Carla dans cette scène. S'il veut la sauver, c'est parce qu'il désapprouve la méthode choisie par les chasseurs de fantômes- qui met sa vie en danger- mais ne met plus en cause la réalité de l'entité. Le film opère un glissement : il ne s'agit plus de prendre position vis à vis du récit de Clara en terme de croyance mais de se positionner à l'intérieur de sa foi : mérite-t-elle qu'on meure pour elle, ce qui semble le point de vue des para-psychologues, qui deviennent dès lors des sortes de fanatiques, obnubilés par l'idée d'établir le contact avec leur "dieu". Sneiderman apparaissant lui comme le bon croyant, modéré,  qui ne veut pas d'une foi allant jusqu'au sacrifice. Point de vue final très consensuel, et qui dissipe le petit trouble que le film pouvait instaurer au départ.

De toute façon, la question était tranchée dès le départ, et la conclusion ne surprend pas. Le film contient cependant une petite coda : de retour chez elle, se croyant à l'abri, Carla entend une voix, tonitruante, lui lancer : Welcome home, cunt ! (approximativement : Bonjour chez toi, salope ! )

Cette pirouette, à la mode à l'époque dans les films de Carpenter, par exemple, qui ne remet pas en question le point de vue de Furie, est conditionnée par le raccord obligatoire avec le réel, puisque cette folle histoire est inspirée, nous dit-on, d'un fait divers, et que les agressions à l'encontre de la véritable Carla Moran ont continué.

Furie, cinéaste servile, entertainer- moins talentueux à l'époque que Proyas aujourd'hui- fait lui aussi les choix qui confortent le public : au bout de deux heures, Carla est passé du statut de victime à celui de résistante. Qu'elle réussisse ou pas, ce qu'elle représente demeure intact au yeux du public : l'espoir de ne plus souffrir.

On regrette que le cinéaste n'ait pas eu le courage (et le talent !) de creuser les aspects les plus ambigus du récit : le désir de Carla pour son fils, le plaisir qu'elle prend parfois aux caresses du monstre, les pulsions d'auto-destruction que cette relation flatte chez elle, la frustration que provoque sa relation bizarre avec son compagnon absent.
Vu d'ici, on s'étonnera surtout que le vérité semble inconcevable pour Sydney J. Furie, et qu'il ne puisse la dire à son public : et si Carla souffrait pour rien ?

2 commentaires:

  1. "On regrette que le cinéaste n'ait pas eu le courage (et le talent !) de creuser les aspects les plus ambigus du récit : le désir de Carla pour son fils, le plaisir qu'elle prend parfois aux caresses du monstre, les pulsions d'auto-destruction que cette relation flatte chez elle, la frustration que provoque sa relation bizarre avec son compagnon absent."
    Oui, très vrai, mais comme tu les soulignes, on peut considérer qu'ils sont suggérer par l'histoire, ce n'est pas si mal.
    Et sinon, j'étais bien jeune (et largeu-d'épaule) quand j'ai vu ce film qui m'a terrifié ! Un p... de film dans le genre.

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  2. oui, ce n'est pas si mal, c'est même bine l'Emprise, mais c'est un accident heureux dans la carrière de Furie, qui a bien prouvé par ailleurs sa versatilité, sa soumission au goût de l'époque à laquelle il tournait, et son manque de conscience de la mise en scène. le film, cela dit, demeure effectivement une expérience forte.

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