samedi 8 octobre 2011

8 & 9: Double Feature: Le wagon à bestiaux (1): Crocodiles !

Respectant le rythme de vie de l'adolescent cinéphage que nous ne sommes plus, le samedi, c'est deux films dans la soirée...mais à deux.
Soit, ami de l'algèbre, un film chacun, consacré aux thème de l'animal dans le cinéma fantastique.
Ce soir, deux films "de crocodiles". Chacun des films est commenté à partir du même questionnaire, établi par les meilleurs ingénieurs américains, et permettant de tirer toute la moëlle des deux specimens du jour.
 


Le Crocodile de la mort (Eaten Alive), de Tobe Hooper, 1977, Etats-Unis.
Lake Placid, de Steve Miner, 1999, Etats-Unis, Canada.


Qui est le Chasseur, qui est le Chassé ?

Lake Placid: Depuis le couple Moby Dick/Achab, l'on sait que celui qui chasse le monstre est aussi celui qui est sa proie ultime. Ce chasseur-chassé garde le privilège de pouvoir être inclassable, comme son monstre, excentrique, et le plus souvent mystique, à l'instar du milliardaire Hector Cyr, de Lake Placid, qui voit dans son « hénaurme » crocodile le dragon dont il sera le Saint Michel. Mais l'Archange ne jurait pas en permanence, comme il semble que cela soit la règle obligatoire de tout film de genre des années quatre-vingt-dix. La statue du Commandeur d'Achab est bien loin – et l'on regrette plus encore celle de Quint, pour faire plus proche de nous, le chasseur de requins des Dents de la mer, inspiration plus réelle du tâcheron Steve Miner, qui est à Spielberg et au film de monstre, ce que les Cordier juge et flic sont aux Miami cops Sonny Crocket et Ricardo Tubs.


Le crocodile de la mort: Cette mystique du monstre-dragon est absente du film de Hooper, dans lequel personne ne chasse vraiment le monstre. Le tenancier dégénéré d'un motel, ironiquement nommé Starlight Hotel, est le véritable chasseur du film, le crocodile incarnant en quelque sorte son estomac monstrueux, qui dévore et avale tout. Soucieux, tout de même, de respecter le genre- et sans doute, la commande de son producteur- la dramatargie du film suit le developpement habituel- et promis au client se rendant un samedi soir au spectacle du Crocodile de la Mort- l'américain plus ou moins moyen est la proie potentielle du maniaque au croco, jusqu'au retournement attendu et inévitable voyant le maitre précipité dans la gueule de son monstre.

Quelle est la place de l'américain moyen dans la Grande Chaîne Alimentaire ?

Lake Placid: Tout dépend en réalité de l'origine sociale et géographique de l'américain en question. Plus il est américain, c'est-à-dire rural, mal dégrossi certes, mais aussi pragmatique et peu enclin à la panique comme au mysticisme- même s'il croit en Dieu bien sûr - alors plus il a de chances d'échapper à un quelconque prédateur, requin, crocodile, ou executive. S'il est urbain, féminin, scientifique et/ou névrosé, ses chances de survie s'amenuisent aussi vite que l'influence d'un jeune frenchy director sous le soleil californien. Il existe aussi d'autres catégories, comme le second couteau, première victime obligatoire, illustrative et néanmoins sympathique... Celui sur lequel personne ne parierait un sou, et pourtant, et pourtant...
En l'occurrence, Lake Placid, franchement mauvais film typique d'un certain cinéma encore de série B et déjà mainstream, assez en vogue durant la fin des années quatre-vingt-dix, respecte ces codes avec un humour dont on n'est jamais sûr s'il est volontairement drôle, raté ou simplement naïf...

Le crocodile de la mort: Cette place, l'américain moyen la prend, dans le film de Hooper, entre le chien et le sodomite. La première victime que le croco va pouvoir attraper sans le secours du maniaque qui lui fournit ses repas est un petit chien, qui nous fait songer à Toto, le chien de Dorothy, dans le magicien d'Oz, dont l'héroïne de la première séquence est une version vieillie- mais vêtue de la même robe. Le sodomite, c'est le fils de Judd, le tenancier du Starlight Hotel, qui passera tout le film à essayer de convaincre une jeune femme de le faire "par là", jeunes femmes qui, consentantes ou payées, refuseront toujours. Buck -c'est son nom- en sera bien mal récompensé.
Le crocodile de la mort est très démocrate- comme dit Judd "avec lui pas de jaloux"- et les chances de survie face à lui sont absolument égales pour tout le monde, c'est à dire, nulles.

Et ce Croco, alors, comment est-ce qu'on s'en débarrasse ?

Lake Placid: Et bien, puisque l'on est américain, et tout de même un peu l'ami des bêtes, on finit par le capturer dans une parodie de chasse à l'hélico digne de la troupe du Splendid – et comme on est américain, et qu'on est aussi l'ami des armes, on en invente aussitôt un deuxième, croco, pour pouvoir donner l'opportunité au shérif local, le rural pragmatique très haut dans la chaîne alimentaire, d'en exploser un exemplaire grâce à son canon scié dernier cri... La dernière image de ce tragique film donne le ton : sur un air de Bob Marley, chanteur cool s'il en fût, un plan aérien nous présente ce pauvre crocodile ligoté sur la plate-forme d'un gros truck américain, tout est dit.

Le crocodile de la mort: Figure-toi qu'on ne s'en débarrasse pas. En même temps, comme il a mangé 5 ou 6 adultes pendant la nuit que raconte le film, je crains qu'il ne survive pas à sa digestion...


Est-ce que tu as vu un bon film ?

Lake Placid : Le film s'il bénéficie du savoir-faire de quelques bons artisans hollywoodiens – la photographie est belle, reconnaissons-le, tout en nuance d'ocres de ces campagnes lacustres du nord américain, les effets spéciaux restant quant à eux tout à fait présentables – et, plus surprenant, d'une distribution que l'on s'attendrait plus à trouver aujourd'hui dans un film arty vaguement indépendant – Brendan Gleeson, Bill Pulman, Bridget Fonda – correspond à une certaine époque du film fantastique américain, où il était encore un peu coupable de prendre au sérieux ces histoires ineptes auxquelles personne ne peut croire, et où, dans le même temps, l'on admettait sans scrupule de donner à manger ce qu'il voulait à un public de plus en plus glouton et de moins en moins gourmet ; du fast-movie en un mot, vulgaire parce qu'assumé cyniquement – une attitude typique d'une certaine bande de producteurs qui allaient prendre le pouvoir à Hollywood dans les années suivantes... Heureusement, les metteurs en scène, les vrais, ne se laissent, eux, pas dévorer tout cru, par les crocodiles des Majors ! Mais la chasse n'est pas encore fermée.

Le crocodile de la mort:  Je crois que si on s'interesse un peu au cinéma américain des années 70, à la carrière de Hooper, si on apprécie le cinéma hystérique et grand guignol, surtout si on aime les films de 86 minutes, on peut grandement apprécier le visionnage du film. PAr contre, si on veut un bon film de crocodile, mieux vaut chercher ailleurs.
Le film de Hooper révèle son goût pour le studio (aucun extérieur), pour le grand guignol, le cinéma forain, la théatralité. Beaucoup de scène se déroulent dans un décor- souvent une chambre- aménagé comme un décor de théatre- façon canapé ou lit central, lampe à droite, porte à gauche, le personnage étant filmé en pied, bien centré dans l'image. Voisinent avec ces scènes d'autres moments dans la veine de Massacre à la tronçonneuse le précédent et premier film de Hooper, le chasseur poursuivant ses proies à travers toute la batisse, tout le monde hurlant, la caméra suivant comme elle peut.
En 1977, le crocodile de la mort contient à la fois la queue de comète du cinéma d'horreur des années 70 influencé par l'esthétique documentaire, et aussi déjà le geste rétrograde de celui des années 80- retour au studio, esthétique léchée et parfois maniériste. Tobe Hooper, qu'on aurait pu imaginer laissé sur le bas-côté pendant ces années-là y trouvera au contraire ses plus gros budgets

Qui donc a encore oublié d'écouter les conseils quand on lui a dit d'éviter ce coin là ?
Le crocodile de la mort: Dès le début, c'est la jeune prostituée qui vient d'être mise à la porte par sa taulière, et qui, sans toit, se voit conseiller d'aller passer la nuit au Starlight Motel. Erreur fatale, puisque c'est là que crèche, justement, le crocodile de la mort. Néanmoins, il convient de souligner qu'ici, c'est précisément d'avoir suivit un bon conseil donné sans malice (par un domestique noire, en plus, comment la soupçonner de mauvais intentions ?) qui menera au trépas la première victime.

Au premier rendez-vous, est-ce que la bête embrasse ?

Le crocodile de la mort: Non, pas vraiment. Si elle consomme, c'est hors champs, et par la grâce d'un petit gargouillis et de quelques bulles à la surface du marais que nous devons imaginer les performances buccales du monstre.

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