mercredi 5 octobre 2011

5- Encore moi, toujours moi : Opération Peur, ( Operazione Paura ) Mario Bava, 1966, italie



Cette petite fille, seule, insaisissable, qui se dérobe dès qu'on l'approche, combien de fois la reverrons-nous ?

La place des enfants, dans le cinéma fantastique est particulière : peu de genres font si grand cas d'eux, peu de genres abritent autant de films les prenant comme figures centrales, tantôt héros du récit, tantôt présences spectrales à la lisière de l'histoire et du champ. Presque toujours, ces enfants ne sont pas ce qu'ils semblent être, presque toujours leur histoire est celle du raccord à faire entre deux images d'eux mêmes, l'une banale ou angélique, l'autre monstrueuse et démoniaque.

Au japon, en Espagne, beaucoup de petits fantômes sont venus hanter le cinéma  fantastique.
Mélissa, dans Opération Peur fut-elle la première ?

Elle hante un espace qui n'existe pas, doublement: d'abord c'est celui, particulièrement onirique de ce film de Bava- au cœur d'une filmographie qui a bien souvent brûlé les ponts reliant au moindre réalisme.

Ensuite, c'est celui de cette Italie dont on nous dit qu'elle est l'Allemagne du village de Karmingen, tant Bava tient, semble-t-il, à invoquer dès l'ouverture une certaine idée du romantisme germanique.

Les premières images répondent parfaitement à ce programme géographique : La nuit, une femme seule, perdue dans le grand décor d'une ruine, va se suicider. Pourtant, avant qu'elle ne se jette sur les pointes d'un morceau de grille, ne l'a-t-on pas entendu appeler à l'aide ? Est-ce elle même qu'elle essayait de fuir ?

Ce dédoublement de soi n'est que le premier d'un film entièrement bâti sur l'impossibilité de s'échapper à soi- même.
On va découvrir que c'est le fantôme d'une petite fille qui annonce aux futurs suicidés la proximité de leur trépas, et qui déclenche en eux la pulsion suicidaire. Le fantôme de Melissa, en fait, pousse les habitants de Karmingen à se tuer eux-mêmes, et ces suicides sont aussi des meurtres.

Cette idée « de scénario », qui aurait pu être traitée sur le mode du thriller à la mécanique imparable, Bava va- évidemment- en faire plutôt un principe de mise en scène, qui va culminer dans une scène de poursuite constituant le sommet du film, et un des moments les plus parfaits de sa filmographie.
Le Docteur Eswai, venu au village pour autopsier la suicidée de l'ouverture, s'acharne finalement à expliquer l'origine des décès, puis va tenter d'en empêcher la propagation apparemment fatale. Le voilà enfin à la poursuite du spectre de Melissa, et l'arrêter pense-t-il, c'est arrêter les morts. Il traverse une pièce, ouvre une porte, se précipite dans la suivante... Et se retrouve dans celle qu'il vient de quitter. Courant toujours, il rejoint la porte opposée, l'ouvre, pénètre... dans la pièce qu'il vient de quitter. Il s'aperçoit même en train d'en sortir. C'est lui même que Eswai poursuit. Il finira par se rattraper plusieurs fois et par se retrouver face à face avec son double. La folie guette- le personnage et le film : comment briser la boucle ? Comment sortir la succession des plans de leur propre répétition ? Bava conclut  par la seule échappatoire possible: un fondu enchainé.  Eswai se réveille dans un lit. Il a echappé au replis fatal sur lui-même.
Si ce moment du film est inoubliable, le film, d'une inspiration tout instant, énumère les variations plastiques sur le thème du dédoublement sans fond : image récurrente d'un escalier en spirale, dont on ne distingue pas s'il est filmé en plongée ou en contre plongée, ces rues, ces décors, toujours pris sous le même angle, arpentés toujours dans la même direction, les personnages répétant des trajectoires circulaires dans des pièces filmées d'un seul point de vue. Ces panaramiques presque circulaires, scrutant les décors, comme inquiets, pour n 'y rien trouver, en général.

Très peu de cinéastes, et très peu de films semblent autant tissés avec la trame des rêves, et des cauchemars dont Opération Peur possède la rare densité.

Eswai est étranger à Karmingen, il n'a donc pas part au drame à l'origine de sa malédiction et y échappe. Car Mélissa, en poussant les villageois au suicide, ne fait que justice et les renvoie à leur responsabilité : ne l'ont-ils pas laissé mourir, indifférents, lors d'une grande fête, piétinée par un cheval ? C'est du moins ce que sa mère raconte. La vengeance du fantôme est possible grâce au lien magique que son esprit et celui de sa mère, douée de pouvoirs médiumniques entretiennent.
Mais alors comment savoir laquelle projette la vengeance de l'autre ?  Effet miroir, encore une fois, on ne distingue pas l'image de ce qui la projette- problématique plastique typiquement fantastique...

On ne s'étonnera donc pas de découvrir tardivement dans l'histoire un double supplémentaire. L'orpheline venue dès le début du récit assister Eswai, et qu'il cherche à protéger, est en fait la sœur de Mélissa, bannie du village par sa mère espérant lui épargner la malédiction. Monica est à la fois étrangère et membre de la famille Graps, et c'est bien sûr par elle que l'histoire pourra se conclure, la boucle se briser ; et le retour de soi-même s'interrompre pour permettre l'arrivée d'un autre.

Dans une logique toute poétique- qui rejoint les obligations du genre, beau geste de Bava- Monica et le docteur Eswai nous quitteront à l'aube, main dans la main. Enfin sorti de la spirale, deux personnages peuvent se rencontrer et faire l'expérience de leurs différences. On ne nous montrera pas ce qu'il est advenu de Melissa, de ses jeux de balançoire, de ses poupées. Mais c'est évident : abandonnant l'égocentrisme de l'enfance, la voilà devenue femme, dans la main d'un homme, à l'aube d'une vie qui se lève.

Sa mère, ce double négatif dont le désir de vengeance est sans fin, la condamnant à demeurer cette petite fille qu'elle aime venger, morte étranglée par la guérisseuse du village (le seul vrai meurtre du récit), Melissa peut enfin disparaître au profit de son double positif, Monica, qui ne demande qu'à aimer, et à soigner- elle apprend la medecine.

C'est aussi cette histoire très simple, banale même, de mères et de filles, d'étrangères qui libèrent et de sœurs qui enferment que nous raconte Mario Bava.

Ce portrait de femme est peint avec les couleurs du mythe et de l'archétype : le bleu de la nuit, le jaune du soleil, le jaune de l'amour, le bleu de la mort, qui se partagent brutalement la plupart des éclairage. Ils illuminent les trois héroïnes du récit : Fille, mère, femme.

Bava les rassemble d'ailleurs dans un plan simple, et beau, qui contient peut-être le coeur secret de son film.

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