dimanche 2 octobre 2011

2 - Savoir ou ne pas savoir : Predictions (Knowing) , Alex Proyas, 2009, Etats-unis.





Que les choses soient claires : il ne s’agit pas ici de débattre des qualités esthétiques effectives de tel ou tel film, encore moins de prétendre à une analyse rigoureuse d’une poignée de films plus ou moins recommandables. Au fil de vagabondages dont le seul mot d’ordre est précisément de ne se donner aucune règle, il s’agira simplement de divaguer à l’occasion d’œuvres qui n’ont en commun que d’appartenir de près ou de loin à la catégorie fourre-tout du Fantastique – célébrée en ce mois d’Halloween.

Ce préalable installé, nous pouvons commencer avec un premier film, Prédictions, Knowing dans sa version originale, ni un grand film, ni un film à sous-estimer, un « produit » pourrait-on dire de l’Entertainment hollywoodien, typique du déferlement du genre à multiples facettes « catastrophe/fantastique/science-fiction » qui a envahi les écrans depuis une bonne dizaine d’années.
Par ailleurs, Knowing semble également intéressant au titre de la question qui nous intéresse ici : Qu’est-ce que le fantastique ? et des éventuelles légères conclusions que l’on peut en tirer. Que raconte ce film ?

L'histoire s'ouvre sur un prologue se situant dans les années cinquante ; dans une petite école, il a été décidé d'enterrer en grandes pompes une « capsule temporelle », une simple boite de fer scellée sous la dalle de pierre du parvis de l'école, qui contient l'ensemble des messages des enfants de l'école décrivant à travers des dessins l'idée qu'ils se font du futur, ce futur situé dans cinquante ans, qui verra réapparaître leurs productions au grand jour, pour le futur plaisir des petits écoliers qui auront pris leur lointaine suite. Une enfant, isolée, mutique, aux grands yeux noirs et au visage triste, dont on nous dit qu'elle est celle qui a eu cette idée, enfermera quant à elle dans cette capsule à la destination lointaine, une suite de chiffres apparemment incompréhensible, et néanmoins écrite avec une détermination suspecte. A la suite de la cérémonie, cette enfant sera retrouvée enfermée dans un placard, les doigts en sang, demandant qu'on fasse « taire les voix ». Ellipse.

De nos jours, un professeur, interprété par Nicolas Cage, père et veuf de son état, enseigne la physique à ses étudiants d'une grande université américaine. A l'occasion d'une cérémonie – les américains aiment beaucoup les cérémonies – son jeune fils, souffrant de surdité partielle, et de l'absence de sa maman disparue..., participe à l'ouverture de la capsule temporelle et reçoit le message « codé » de sa très lointaine camarade. La suite du film racontera comment le père parviendra à décrypter cette étrange suite numérique, à l'éprouver, jusqu'à comprendre qu'il s'agit là de la fameuse « prédiction » du titre français, celle de la fin du monde, rien de moins, ce qui nous vaudra l'une des rares véritables apocalypses totales du cinéma hollywoodien pour finir. Rien n'a pu s'opposer à ce message, ni la bande habituelle de cow-boys que l'on envoie joyeux déjouer les plans cosmiques de quelque météorite destructeur, ni la US Army habituellement, et secrètement, préparée à toute intervention de ce type sous l'égide son président bienveillant et prévoyant.

Jusque là, seule la prédiction pourrait classer ce film au rang des œuvres fantastique. Il est en effet rationnellement impossible de démontrer que l'histoire des catastrophes humaines, bien trop humaines, puisse s'écrire avec tant de précisions cinquante ans auparavant. Qui aurait pu prédire par exemple – et puisque le code est cassé par là – que la suite de chiffres 090112001 aurait pu dire quelque chose avant que cela n'arrive ? Lorsque le père, dans un exercice à la fois de grande rationalité, et néanmoins de cinéma, inscrit cette suite de chiffres sur son large tableau de travail – il est physicien ne l'oublions pas – nous autres spectateurs, « sachant » quel type de film nous regardons, nous réalisons plus vite que lui encore ce que tout cela signifie. Nous effectuons plus vite que lui le travail de déduction, car nous savons également que depuis une vingtaine d'années, Hollywood aime s'auto-détruire. Et que depuis dix ans, la réalité ayant rejoint la fiction, cet exercice de la contemplation esthétique fortement nihiliste de sa propre destruction est devenu beaucoup plus problématique pour une Amérique qui ne sait plus exactement quel sens donner à son Entertainment.

Prédictions est un film fait pour ce public américain qui dévore du pop-corn en jouant à se faire peur. Mais Alex Proyas, son metteur en scène, s'il est l'un de ces faiseurs d'Hollywood au talent certain, n'est sans doute pas que cela, et nombre de ses obsessions habitent ce film habituel pour tenter de l'élever un peu au-dessus du lot de l'habituel justement.
Une longue séquence avant l'ouverture de la capsule nous présente le personnage principal en train de faire son cours à une bande d'étudiants que l'on imaginerait bien par ailleurs se faire occire les uns après les autres par un croque-mitaine masqué dans quelque autre film, et cette séquence n'est pas sans intérêt pour poser le problème, que ne résoudra toutefois pas Proyas. Il y est question de la démarche scientifique : celle-ci n'a pas pour but de résoudre un plan secret, mais bien simplement de décrire les phénomènes. Entre l'intelligent design, théorie propre aujourd'hui à une certaine Amérique en rupture de Darwinisme, et l'accident, au sens littéral, pour expliquer le monde, il y a un choix à faire, qui n'a toujours pas été tranché par la psyché américaine, tellement empreinte de religieux. Le personnage de Nicolas Cage s'amuse à cette occasion à lancer à chacun des étudiants qu'il interroge une petite balle, qu'ils se renvoient comme si aucun ne pouvait la garder pour lui, ne pouvait dépasser ce paradoxe de la connaissance et de la foi. Que la résolution du chiffre passe par le 11/09 n'est pas tout à fait anodin alors. Il y a quelque chose dans la culture populaire américaine qui nous heurte profondément, c'est précisément sont rapport complexe au fantastique, au magique même pourrait-on dire. Le problème n'est pas le manque de rationalité, mais son trop-plein. Tout a une explication, tout effet à une cause, même incompréhensible, même invisible. Nous n'avons juste pas atteint le niveau de connaissance requis pour comprendre ce qu'il en est de la prédiction. Car, la science, et notamment la physique, ne cesse de faire des prédictions, c'est même sa fonction, sa raison profonde. Il s'agit par la suite d'éprouver ces prédictions. Et dans ce film, Nicolas Cage ira très loin pour les éprouver.

Le fait qu'il soit fils de pasteur, et brouillé avec son père depuis la mort de sa femme, depuis qu'il a perdu la foi, oriente le film vers une lecture toute mystique du fait rationnel : l'on a beau appartenir à la société la plus technologique au monde, les avions s'écrasent tout de même, les trains déraillent néanmoins, les voitures s'emplafonnent les unes contres les autres, et la mort est toujours là, que l'on sache comment l'éviter ou la tromper. Rose Byrne, qui interprète la fille de la petite fille des années cinquante, et que l'on admire pour sa capacité à conserver un semblant de raison dans un monde qui semble n'en avoir plus aucune, n'échappera pas à son destin : sa mère lui avait prédit le jour où elle mourrait, et elle meure bien ce jour, malgré la série de péripéties qui pourrait nous faire espérer, à nous autres, spectateurs impuissants, spectateurs au plus haut point, que cela n'arriverait pas – et qu'il y a toujours, surtout au cinéma, une manière ou une autre de s'en sortir, de casser la fatalité. Et puis, tuer Rose Byrne, tout de même, il faut le faire...

Les longues séquences de catastrophes, ainsi que les visions de l'enfant de Cage, lui-même approché par d'étranges hommes en noir qui semblent pour leur part avoir tout compris, nous offrent des images littéralement dantesques, où les hommes brûlent des flammes de l'enfer, au milieu d'un chaos fascinant – et éventuellement malsain quant à leur réalisme dans un film qui, rappelons-le, est d'abord un film fantastique d'entertainment.
Proyas, au pessimisme qui se vérifie à chacun de ses films, croit avec l'Amérique, à la logique du pire, comme motif finalement rationnel. Il est là l'un des « imagiers » du cinéma Hollywoodien, à l'instar de ces peintres de retables qui se faisaient plaisir en se faisant peur – et terrifiant leurs spectateurs, les gardaient sous leur domination.

Toutefois, il y a ces hommes en noir, ces envoyés d'on ne sait où – d'un outre-monde inquiétant néanmoins, tant ils semblent n'avoir aucune compassion pour notre pauvre race humaine. Ils accomplissent leur mission : choisir les élus qui viendront peupler un nouveau monde dont les quelques images finales m'ont bien donné l'envie de rester mourir sur celui-ci...

L'on a fait le reproche à ce film d'être très new-age dans son dénouement. C'est oublier que l'Amérique est profondément rationnelle et religieuse dans le même temps – et lors même que la Terre se transforme en un immense océan de feu digne des pires Enfers, les jeunes pèlerins de ce nouveau Mayflower extraterrestre s'en vont reconstruire une tentative de paradis vers un nouveau Nouveau Monde. Finalement rien de bien neuf sous le soleil, sinon que l'espoir, même sans issu, reste le ferment qui permet une fois encore de dépasser ce paradoxe de la connaissance et de la foi : le fantastique depuis ces débuts ne fait que parier sur cela. Un jour, nous comprendrons. Alex Proyas, s'il a la tentation de déplier tout le nihilisme de ce genre, a aussi le mérite de ne jamais le faire en cynique. Il ne nous reste pas grand chose d'autre à la fin, mais toutefois son désespoir n'est pas complet. La solitude, sans cesse soulignée notamment de la petite fille, qui sait avant tous, telle une Cassandre qui finira par se suicider à l'age adulte, est notre condition. Nous n'avons plus qu'à espérer.
Prédictions n'est ni un grand film, ni une œuvre de stricte consommation, c'est là son intérêt. Elle transpire d'un genre, le Fantastique, qui n'est peut-être pas aussi simple qu'il y paraît. Un film à décoder.

2 commentaires:

  1. "choisir les élus qui viendront peupler un nouveau monde dont les quelques images finales m'ont bien donné l'envie de rester mourir sur celui-ci..." Moi aussi !
    J'aime beaucoup Proyas, le film est techniquement impec voir incroyable (le "crash") mais ce qui me gêne dans ce film (et son côté "à décoder") c'est justement son versant catho sans le dire avec toutes les petites touches qui vont bien( Le symbole des pierres blanches et noirs, les hommes en noir avec des ailes dans le dos lors de leur transformation à la fin (si, si, regardez-bien), le principe de l’ascension, et j'en passe !) A l'époque Proyas s'est défendu de cette vision. Mais quand on voit le sujet de son prochain film (Paradise Lost)... Hum...

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  2. Je me souviens du débat qu'on a déjà eu tous les deux sur le film... Cela dit, c'est vrai que le choix du prochain sujet de Proyas ne fait qu'enfoncer le clou. IL est peut-être simplement fasciné par l'imagerie catholique ? Et honnêtement, je serais étonné que Paradise Lost se fasse. Quelle idée bizarre, d'adapter en live et au cinéma Milton... a moins de ne garder que l'argument.

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