mardi 15 novembre 2011

41- Valérie au pays des merveilles (Valerie a týden divu ), Jaromil Jires, Tchécoslovaquie,1970



Des gouttes de sang tombent sur les pétales d'une marguerite. Des jeunes filles se glissent des poissons dans le bustier. Un voleur de boucles d'oreilles envoie une colombe blanche à Valérie pour la prévenir qu'un danger la menace. Une femme se caresse sur un tronc d'arbre, bientôt rejointe par un homme. Des flagellants entrent sur la place du village lorsque Valérie délivre Aigle, qu'on y avait enchaîné. Le marié écrase son cigare après avoir jeté un regard à la mariée crucifiée. Le cercueil de Valérie est capitonné de pommes. Grâce à la perle qu'Aigle lui a donnée, et qu'elle garde en bouche, Valérie est protégée des flammes du bûcher auquel on la destine.

Difficile de se risquer à dépasser la simple description, lorsqu'on tente d'écrire à propos de Valérie au pays des merveilles. Le titre français tente d'apposer un cadre autour d'un film dont la raison d'être semble être la fuite des schémas narratifs traditionnels. Mais mon regard ethno-centré fausse peut-être mon impression car il y a une tradition d'un cinéma profondément symboliste, surréaliste ou allégorique en europe centrale ; il suffit de penser aux derniers films du polonais Has (la Clepsydre...), à certaines tentatives de Zulawski, ou au cinéma de Svankmajer.

Bien sûr, il est possible de faire une lecture exigeante d'un tel film- le contexte politique, par exemple, de la pologne, au moment où Has fait chacun de ces films suffirait à fournir une piste de reflexion interessante, et sans doute possible aussi avec Jires. De même que le choix d'une mise en image « symbolique » invite évidemment à jouer à decrypter ces symboles. Tout cela me semble bien au dessus de mes moyens intellectuels actuels.

Quelque reflexions tout de même. Sur la qualité des images, d'abord : La photographie du film, très lumineuse et assez aplatie provoque un effet paradoxal assez interessant : la conception parfois abstraite à l'origine des images trouve un écho curieux dans la matérialité très prononcée que le style photographique leur donne. Une photographie plus retravaillée, insistant sur l'onirisme aurait sans doute largement amoindri, finalement, la fascination produite par le film. Les effets réalisés à même le plateau (pas d'effets optiques ni de plans à effets spéciaux ), la présence physique des acteurs, la réalité des décors- une grande partie du film se déroule en extérieurs participent aussi d'un fantastique poétique et inhabituel, comparé en tous cas aux canons du genre majoritairement anglo-saxons.

Car, d'un certain point de vue Valérie relève bien du genre. Jires s'appuie aussi sur des images très codifiées pour fabriquer de la narration : il y a une figure maléfique dans le film, le connétable, qui cumule des aspects de l'homme d'église (le cardinal maléfique... de Richelieu au Christopher Lee d'Une fille pour le diable ) et du vampire. Les flagellants, les tortures liées à l'imagerie médiévale, le peuple, parfois représenté comme une masse anonyme, grégaire et vindicative, la menace d'une féminité s'exprimant sans entraves et vue comme possédée par le mal, autant d'éléments codifiés dans le cinéma fantastique et permettant au spectateur de ne pas perdre complètement le fil et de générer un horizon d'attente minimal mais présent.

A défaut d'investir les assemblages symboliques, on se retrouve avec les seuls acteurs pour trouver de la chair et des sentiments dans le récit. Bien sûr, comme son titre, le suggère, c'est le thème fertile des mystères de la féminité et de l'accès à la puberté d'une jeune fille- la Valérie du titre- qui est la source principale du film. On retrouve, au côté de l'imagerie fantastique déjà évoquée, quantité d'images attendues : colombes blanches, cours d'eau et jeune filles s'y baignant la chemise relevée mi-cuisse, perle qu'il faut cacher au fond de la bouche, masculinité associée à la métamorphose bestiale lorsque le désir la saisit...Le théme, riche de promesses en turbulences, émois, et sursauts de pulsions facilite lui aussi l'investissement du spectateur.

Selon son attachement au scénario et sa capacité à se laisser absorber par un livre d'images très incarnées, on se perdra avec plus ou moins de plaisir dans ce pays des merveilles, tout entier assujetti aux seules règles du désir fluctuant d'une jeune fille en fleurs.


1 commentaire:

  1. Je ne connaissais pas du tout ce film. J'ai bien fait de monter dans ce train fantôme, car je découvre bien des films intéressants.
    A suivre donc...

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