mardi 11 septembre 2012

54- Farenheit 451, François Truffaut, 1966, Royaume-uni.



Unique film de science-fiction dans la filmographie de Truffaut, projet à la production difficile, on pourrait croire que Farenheit 451 est un mal-aimé dans le souvenir du réalisateur. S'il avoue- comme on l'imagine- avoir toujours trouvé la science-fiction puérile (mais nous sommes en 1966!), il confesse aussi avoir été immédiatement séduit par le postulat de la suite de nouvelles de Bradbury. Tout simplement parce qu'il y est très littéralement question de l'amour pour les livres, et que si un cinéaste incarnait ce goût profond et évident pour la littérature, c'est sans doute Truffaut.

Là ou le film surprend, c'est dans sa direction artistique : jamais le cinéaste n'essaie d'anoblir son sujet en évacuant par exemple les gadgets typiquement SF : on retrouve les télés géantes, un curieux métro suspendu traversant une banlieue qu'on devine interminable et les portes qui s'ouvrent toutes seules. La police du futur, en revanche continue de classer les photos de ses suspects dans de bonnes vieilles chemises en carton... Et cette dimension anticipative, très juste si l'on fait abstraction du design daté de certains objets, opère toujours aussi efficacement aujourd'hui. Le réseau télévisé auquel participe Linda préfigure le web contemporain, de même que sa situation de femme morose et inemployée, coincée dans une banlieue qui semble sans fin est un stéréotype toujours très vivant : voir les portraits réguliers que la télévision et le cinéma brossent des desperate housewifes.

Truffaut semblait surpris que les critiques qualifient d’étonnamment douce l'atmosphère de son film, lui croyant avoir tourné un film très violent. C'est dire à quel point, malgré l'exotisme du sujet, et le tournage en langue anglaise, il n'en a pas moins fait de Farenheit 451, comme de tous ses films une œuvre intime et autobiographique. Lorsque le cinéaste déclare avoir choisi une même actrice (Julie Christie) pour interpréter « la femme et la maîtresse », afin que le spectateur ne préfère pas l'une à l'autre- on ne peut que sourire tant l'aveu semble limpide et l'injonction adressée autant à lui-même qu'à nous.

On retrouvera d'ailleurs dans Farenheit 451 la grâce typique de Truffaut lorsqu'il s'agit de filmer des actrices- et Julie Christie est touchante dans les deux rôles. Subtile, aussi, la façon dont Truffaut décrit ses personnages, et ne les pointe jamais du doigt de la morale. Même le capitaine des pompiers, malgré un long monologue résumant la philosophie structurant cette société qui détruit rageusement ses bibliothèques, n'est jamais complètement antipathique. Ni héros ni salauds, et une grande part de la réussite dans le traitement du personnage de Montag repose sur le jeu d'Oscar Werner, qualifié très justement par Truffaut de jeu poétique, opposé au jeu psychologique. Traversant le film presque hébété, le regard toujours un peu ailleurs, Montag transmet ce sentiment de vacance, ce vide existentiel dans lequel vient se loger son goût soudain pour la lecture qui, bien heureusement, n'est jamais justifié dans le récit. Jusqu'à son final poétique (les hommes et femmes livres déambulent en récitant les ouvrages qu'ils apprennent par cœur ), le film accomplit son programme (oppression- éveil de la consience- résistance) sans céder à une dramatisation caricaturale. En découle cette atmosphère très particulière, mais envoûtante qui dérouta peut-être la critique.

Pourtant, dans sa mise en scène, Truffaut n'hésite pas à se laisser aller à des effets purement plastiques comme dans le montage très vif de la première intervention des pompiers pyromanes, où lorsque la caméra s'attarde longuement sur les fascinantes combustions de livres. Lorsqu'il filme le rouge éclatant de la caserne, ou les scènes d'incendies Truffaut a l'occasion de déployer un grand talent de coloriste. Il faut dire que son ambition plastique est parfaitement soutenue par la musique composée par Herrmann, à laquelle le cinésate réserve souvent l'intégralité de la bande son. Le musicien a parfaitement compris le film, et évite le recours à tout l'attirail musical SF qu'il a lui-même contribué à inventer dans Le jour où la terre s'arrêta. Au contraire, Herrmann confie aux violons l'expression d'un tragique intérieur, bande-son idéale pour un Montag dont on ne peut qu'essayer de deviner les pensées et les tourments. Comme ces très belles scènes dans le métro aérien, au début du film, lorsque le pompier et l'institutrice échangent des regards sans qu'on sache jamais rien des sentiments qui naissent à ce moment. Mais eux-même, que pourraient-ils en savoir, dans ce monde où on ne peut plus lire de roman d'amour ?

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