vendredi 19 octobre 2012

Revoir 1982 (19/31): Les maîtres du temps

METAL CHUCHOTANT
Les Maîtres du temps- René Laloux- 1982- France, Suisse, Royaume-Uni, République Fédérale d'Allemagne, Hongrie.



Produire et distribuer un long-métrage d'animation est encore, au début des années 80, une entreprise difficile, voir impossible si on ne bat pas pavillon américain. Mais les missions impossibles, René Laloux s'en ait fait une spécialité.







Les Maîtres du temps, conçu, comme tous ses films, sur le fil du rasoir, s'ajoute au panorama des long animés produit en 82, année décidément exceptionnelle, en particulier pour l'animation. Exceptionnelle parce qu'une majorité de ces films, sont des projets risqués, projets de véritables auteurs, saisissant des opportunités pour se risquer à l'expression personnelle plutôt que la reconduite de la formule leur ayant apporté le succès. Ces films indissociables de leur créateurs ce sont Dark Crystal pour Jim Henson, Brisby et le secret de N.I.H.M pour Don Bluth et Les maîtres du temps pour Laloux.

A chaque fois la rencontre d'un réalisateur avec un univers graphique très fort. Don Bluth a lui-même un coup de crayon immédiatement reconnaissable et irresistible- expliquant par exemple la postérité d'un personnage aussi peu developpé que le Dirk du jeu vidéo Dragon's Lair. Jim Henson s'associera avec Brian Froud, créateur obsédé par la figure du gnome et du gobelin, auteur d'un des plus beaux livres sur le sujet « Les fées », pour lequel il collabore avec Alan Lee, appelé lui aussi a une contribution marquante au cinéma, avec Peter Jackson bien plus tard. Laloux , qui pour chaque film, engage un dessinateur a l'univers personnel très fort, va inviter Moebius.

A ce moment-là, le génial dessinateur est en pleine période « Métal Hurlant ». Fondateur et collaborateur régulier de la revue, il y publie certains de ces travaux les plus essentiels, qui lui ouvriront de nouvelles perspectives artistiques mais surtout qui auront une influence difficile à déterminer tant elle semble transversale et internationale. On pense bien sûr à l'onirique Arzach, qui retient l'attention de Ridley Scott, lecteur du journal, ou à The long tomorrow, dont l'histoire est due à Dan O'Bannon un des auteurs à l'origine... d'Alien ! Le vaste monde de la science-fiction et ses étendues stellaires paraît parfois bien petit …



Si petit qu'en France il est même minuscule. A tel point que Laloux, malgré le succès de La planète sauvage peine terriblement à mettre sur pied un nouveau film. A vrai dire, il est même impossible de trouver un financement en France pour un long-métrage d'animation. De guerre lasse, il se tourne vers la télévision, où il semble plus facile de placer des projets. Comme celui d'adopter une série de romans de Stefan Wul, auteur à la popularité aussi longue que sa période créative fut brève. Six films de 52 minutes, parrainés par Jean-Pierre Dionnet- alors tête pensante de Métal hurlant- et Michel Gillet et produits par Jacques Dercourt. Une première adaptation est rédigée avec le concours de Jean-Patrick Manchette aux dialogues. Le budget disponible pour ce qui est encore un pilote ne permet pas à Laloux de réaliser le film dans ses propres studios, à Angers. Il est contraint de chercher à l'étranger et s'installe pour 18 mois en Hongrie. Le studio angevin, malgré quelques travaux de commande ferme ses portes. En voyant les premiers rushs tournés, Dercourt s'emballe et veux sortir le film en salle. Il faut donc maintenant réaliser un film plus long... pour la même somme ! Le film est tout de même bouclé en 18 mois à Budapest.

Pour Laloux, « sur grand écran les spectateurs exigent une richesse de l'animation, une souplesse du mouvement, bref une réelle qualité ». Belle idée du spectateur, qui en dit plus sur René Laloux et son respect du public que sur le public lui-même. Rappelons qu'en 1985, le film tiré des Bisounours, tourné pour un budget 20 fois moindre attire plus de spectateurs que Taram et le Chaudron Magique.

 

Pas sûr que les jeunes têtes blondes soient tellement à cheval sur la qualité de l'animation. Laloux, par contre, se fait un haute idée du public. Il ne veut pas leur servir ce qu'il considère comme des mièvreries : « Je ne veux absolument pas tricher avec un enfant, je veux tout lui dire. Quand je fais un film, je me dis qu'il ne faut surtout pas que le spectateur de quatre à dix ans regarde ce même film avec condescendance ou mépris en arrivant à l'âge de trente ans... » Les spectateurs les plus jeunes des Maitres du temps ont dépassé les 30 ans, et le film est toujours regardé aujourd'hui, sans mépris ni condescendance mais plutôt avec admiration pour la ténacité de son réalisateur et étant toujours sensible à sa poésie et son ton si particulier.

Pour être touché par Les maîtres du temps, sans doute faut-il, un peu comme Laloux, être mordu de science-fiction. Si le très joli argument de l'histoire ne relève pas du genre, son développement relève de la pure S.F tellement en vogue à l'époque. Quelque chose de l'esprit de la revue Metal Hurlant, donc, et qui est bien mieux traduit que dans l'affreux film de Potterton, sorti l'année précédente paradoxalement adoubé par le journal.



Loin des barbares musculeux et des aventurières de l'espace en string c'est le sense of wonder, l'emerveillement propre au genre que Laloux cherche- et trouve. La structure du film s'y prête idéalement. S'il y a du suspens et un peu d'action, c'est surtout la visite successive des différentes planètes et lieux qui constitue la dynamique du film. On n'est pas dans l'effet catalogue un peu morne mais plutôt dans l'exploration émerveillée d'un cabinet de curiosité stellaire ou tout semble possible. Et Moebius, qui a conçu les environnements et les créatures, la bride sur le cou, mais le mors aux dents vu les délais, peu laisser vagabonder son imagination. C'est un feu d'artifice ! Cherchant à repousser le plus loin possible le sentiment de familiarité, le dessinateur déroule des ribambelles de personnages, plantes, animaux et paysages stupéfiants. Les formes, les couleurs, les sons même- travail très soigné de Jean Pierre Bourtaye, Pierre Tardy et Christian Zanesi- tout est dépaysant, unique, exotique et très original dans le registre déjà bien codifié de l'aventure spatiale tout public. La planète des Xuls, sur laquelle tout le monde a un corps d'ange et pas de visage est peut-être restée la vision la plus marquante d'un film qui en déborde.




J'évoquais plus haut la beauté de l'argument initial. Rappelons-le. Piel, petit garçon de 4 ou 5 ans, se retrouve seul, par un cruel concours de circonstances le privant de la protection de son père sur la planète Perdide. Disposant d'un micro lui permettant de dialoguer avec Jafar, un ami de son père, il va être guidé en lieu sûr par un groupe d'adultes en transit interstellaire, plus ou moins volontaires. Il y a bien sûr là un parfum des Contrebandiers de Moonfleet, et quelques traits du récit de piraterie, comme souvent avec le space opera subsiste dans le film : pirates de l'espace, police galactique équivalente aux militaires traquant les flibustiers, contrebandier courageux transportant un trésor mal acquis... faire du film un space opera mouvementé eut d'ailleurs été très simple.

Laloux préfère une narration moins frénétique, élaborée avec Moebius, (sur un scénario de Laloux) qui dessine tout le storyboard. Le récit, très bien construit, donne l'impression de pratiquer la digression alors que chaque épisode trouve sa place dans l'économie du film et qu'au bout du compte, rien ne semble déplacé ou superflu. Le relief comique apporté par Jad et yula les deux télépathes apporte un regard extérieur aux vicissitudes des passions humaines, étrangères aux deux créatures, et offre l'occasion à Manchette de signer quelques très beaux dialogues, naïfs mais désabusés. Le récit parallèle du prince Matton et du trésor qu'il veut mettre à l'abri au plus vite et que le détour pour aller sauver Piel inquiète au point d'envisager de faire tuer l'enfant amène une tension d'autant plus forte que Laloux, sans tomber dans le mélodrame, nous montre un personnage par ailleurs parfois séduisant, prête à guider, de sang-froid, un petit garçon vers sa propre mort. L'issue de ce fil du récit- la destruction du trésor- est amené par une ellipse particulièrement réussie et osée, impliquant les deux télépathes. Succession d'épisodes en apparence décousus, le film est pour Piel, qui n'en a pas conscience, un véritable récit d'apprentissage, le confrontant à la cupidité et l'abus d'autorité (Le prince Matton), à la loi du plus fort (les prédateurs de Perdide), à la perte d'identité accompagnant parfois l'admission dans une société (La planète des Xuls), à la difficulté à se faire comprendre des autres alors qu'on a le sentiment que ce que l'on ressent est évident (les gnomes télépathes) mais aussi à la sollicitude des adultes (Jafar, Sinbad, Belle), à l'amitié spontanée avec un semblable (les mammifères de Perdide), à l'acquisition d'une confiance en soi et ses capacités (l'exploration de la grotte). Si Piel ne vit pas à l'écran toutes les péripéties- il ne saura rien des manigances du prince, le spectateur, qui les voit toutes les relie à l'enfant. Malgré son temps de présence réduit, Piel est la clef de voûte qui donne son sens thématique au film.


La conclusion, un deus ex-machina que Laloux parvient à nous faire accepter tant il s'intègre naturellement au ton de tout ce qui a précédé, implique un voyage dans le temps et un paradoxe temporel, de ceux qui font courir un petit frisson sur l'échine de l'amoureux de science-fiction et qui aboutit à un plan étrange empreint de cette qualité presque métaphysique parfois associée au genre, comme dans L'homme qui rétrécit, Star Trek le film ou évidemment, 2001 Odyssée de l'espace

 

Entre Gandahar et La planète sauvage, Les maîtres du temps complète une filmographie toute entière consacrée à ce qu'on aime le plus dans la science-fiction : l'exploration de l'humanité par un imaginaire cherchant à lui donner un sens en reliant l'infiniment grand et l'infiniment petit, le début et la fin. Ce que Laloux et Moebius réussissent de bout en bout avec une poésie constante.

René Laloux ne parviendra pas à financer son quatrième long, adapté du roman A l'image du dragon, de Serge Brussolo. Mais le film finira tout de même par trouver le chemin des écrans, en 2002, réalisé par Philippe Leclerc et dessiné par Caza, qui avaient tous deux collaboré avec le réalisateur. Après ce film, malgré la multiplication, heureuse, des long-métrages animés produits en France, et des tentatives intéressantes (Kaena, Renaissance, Prodigies) personne n'a poursuivi, dans l'esprit, le compagnonnage merveilleux que René Laloux entretint avec la S.F. Raison de plus, s'il en faut encore une, de revoir et de chérir les trois films qu'il nous laisse et qui résument à eux seul une époque de rayonnement inégalé pour l'imaginaire des artistes français.



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