lundi 22 octobre 2012

Revoir 1982 (22/31): Dark Crystal

LEGENDE
Dark Crystal (The Dark Crystal)- Jim Henson & Frank Oz- 1982- Etats-unis.




Il y a une légende dans la légende, dans Dark Crystal : Jim Henson en aurait trouvé l'inspiration grâce à une tempête de neige l'ayant retenu dans un aéroport. Incapable de rester inactif, il aurait jeté sur un carnet, sans préméditation les bases de ce qu'allaient devenir Gelfings, Skekses et Podlings. 





On imagine qu'il ne faut pas grand chose à Henson pour que son imagination s'emballe. Et à ce stade de sa carrière, il a les moyens de se laisser aller aux rêves les plus fous. Ses Muppets triomphent et sont une belle revanche pour cet américain exilé en Angleterre faute de producteur américain pour croire à son projet de show télévisé entièrement animé par des marionnettes. Il sera d'autant plus facile à Henson d'aller rencontrer un artiste qui a immédiatement accroché son œil, Brian Froud, qui vit dans le Devon et dont l'oeuvre maîtresse, imaginée avec Alan Lee, the faieries (les fées, chez albin Michel) est un grand succès de librairie. 

Le projet d'un film ayant pour cadre un univers entièrement imaginaire taraude Henson depuis longtemps, mais c'est le succès des Muppets- qui s'est étendu au cinéma avec un deuxième film réussi, The Great Muppet Caper, et la rencontre dans le devon, où il habite, qui décide Henson. Avec le coup de pouce d'une petite tempête de neige, donc.

Dès le départ, l'impulsion d'Henson le pousse à concevoir d'abord un univers cadre pour son récit, dont il espère que le développement fournira spontanément une intrigue. Bien qu'il s'en défende un peu, il est difficile de ne pas trouver un écho dans cette méthode à la façon dont Tolkien a bâti son univers. La volonté de créer de toute pièce une mythologie originale, mais tentant en même temps de capturer l'essence du conte de fée européen (sujet d'un essai célèbre de … Tolkien!) sera aussi à l'origine, une poignée d'année plus tard, du Legend de Ridley Scott. C'était aussi en partie la démarche des concepteurs de La dernière licorne, qui adaptait un livre au projet très similaire. On ne s'étonnera pas de retrouver dans les trois films de grandes similitudes, même s'ils relèvent chacun d'un cinéma fondamentalement différent. La dernière licorne est un dessin-animé traditionnel, animé image par image. Legend est un film avec des acteurs, mais entièrement tourné en studio, et avec de très nombreux effets de maquillage. Dark Crystal est aussi un film traditionnel, mais sans acteur, les créatures étant opérées par des techniques proches de l'art de la marionnette. Ce qui explique sans doute pourquoi, abusivement, mais dans un reflexe compréhensible, c'est un film généralement considéré comme un film d'animation.

Les Mystics, peuple pacifique lié au forces telluriques.
S'agissant de la création d'un univers destiné à une transposition cinématographique, la direction artistique a une importance déterminante. Si le talent des dessinateurs du studio Topcraft et l'instinct plastique de Ridley Scott, cinéaste-dessinateur orientent l'esthétique de La dernière licorne et Legend, Henson, lui, éprouve le besoin de faire venir un collaborateur extérieur. Ce sera donc Brian Froud. Tout comme les films de Scott et Rankin et Bass, l'univers de Froud relève d'une esthétique particulière, qui est rédécouverte et admirée par quelques jeunes illustrateurs influents, et inspire leur travail. Ce sont ces illustrateurs nord-européens du début du siècle, en tête desquels Arthur Rackham, et dont on retrouve des influences chez des artistes aux emplois aussi divers que Barry Windsor-Smith, Alan Lee ou même Philippe Druillet. Avec Froud, la filiation est plus évidente encore, et revendiquée. Et c'est une des premières qualités de Dark Crystal que de proposer une tentative ambitieuse, « totale » de transposition d'une cette esthétique décorative, précieuse vers un art encore balbutiant lorsque les dessinateurs admirés par Froud œuvraient. Une volonté qui fait forcément la part belle à la musique, de toute façon au cœur des autres univers de Henson, fortement marqués par la comédie musicale, voire le cabaret. De là à dire que Dark Crystal est une sorte de revue Wagnérienne...

 
Au sources des images de Brian Froud, les illustrateurs des mythes nord-européens du début de siècle. Ici un des nombreux Trolls illustrés par John Bauer.

Ceux, très semblables, de Kay Nielsen.



... Dont on retrouve la trace chez Paul Bonner, à l'univers proche de celui de Dark Crystal pour ce Peer Gynt datant lui aussi de 1982.



A la baguette l'excellent Trevor Jones, qui a eu la lourde tâche, l'année précédente, de combler les trous entre les passages de Wagner (justement) et Orff sélectionnés par Boorman pour accompagner les images lyriques d'Excalibur. Il se tire avec les honneurs de ce travail ingrat, en parvenant même à accrocher l'oreille, particulièrement à travers une danse sauvage et un thème liée à la magie de Merlin éthéré et évocateur. Deux ambiances qui pourraient tout aussi bien définir l'univers de Dark Crystal. Henson intègre en effet des numéros musicaux, permis par la présence du peuple joyeux et fêtard des Podlings, et il lui faudra traduire la magie émanant du Crystal, l'âme mystique des Mystics ou le lien surnaturel qui unit les derniers Gelflings. La musique a aussi son importance dans la description du rapport des Mystic à leur mystique, qui s'exprime par le chant et c'est encore par elle que nous partageons l'amour naissant de Jen et Kira. Tous ces passages sont parmi les plus réussis du film, et il est évident que la musique a une importance fondamentale dans l'art narratif de Henson, bien plus que le scénario ou le dialogue. Visiblement très inspiré par le film, Trevor Jones livre une de ces meilleures partitions, et plante une borne dans ces années 80 déja riches de compositions symphoniques de haute tenue.

Et le film a terriblement besoin de cette musique qui nous ouvre le cœur de personnages aux expressions parfois limitées et mécaniques, et donnent du rythme à des scènes bien statiques. Dark Crystal est un sompteux livre d'images, et on peut l'apprécier pour cela, mais il faut bien reconnaître que ce n'est pas le spectacle le plus cinégénique qui soit.

Kira, une des Gelflings de Dark Crystal...




... un petit air de Puck, dessiné par Arhtur Rackham dans son Songe d'une Nuit d'été...

Qui a d'ailleurs été illustré par Brian Froud...

... Et mis en image par Jiri Trnka, dans un de ses plus beaux films d'animation. L'esthétique de Trnka a put être aussi une des influence de Froud et Henson.

Si Henson et son équipe ont tout fait pour repousser les limites de la manipulation de marionnettes à l'écran- et leur travail inspire un respect sincère, voire une pointe de compassion au vu des efforts surhumains de certains animateurs coincés dans des costumes mécanisés de plus de 50 kilos ! Mais l'animation (ici la manipulation) à ceci d'ingrat, comme disait Peter Lord, que quand c'est bien fait, on ne peut pas demander au public de prendre en considération l'incroyable somme de travail (de fourmi) nécessité par la création du film. Au final, ces efforts disparaissent devant la qualité simplement cinématographique de l'oeuvre. Et on est un peu embarassé devant Dark Crystal. Le monde à l'écran est vivant- le moindre arbre, la moindre fleur, la moindre chose, est issue de l'imaginaire, et respire, souffle, bref, tout, dans Dark Crystal est animé. C'est sans doute l'aspect le plus touchant du film, ce regard animiste qui fait de toute chose le réceptacle d'une âme. Mais le récit, extrêmement stéréotypé, raconté sur un rythme monotome produit un effet contraire à celui recherché : au lieu de transformer le moindre recoin de ces décors vivants en personnages, il réduit presque les personnages à l'état de décors. Ridley Scott, qui bâtit lui aussi des univers extrêmement animés- dans Blade Runner on entend le souffle de la ville qui respire sur la bande-son- pour son projet similaire à celui de Henson, Legend, n'oubliera pas de placer un acteur sous les maquillages les plus élaborés.

La mise en scène, terriblement contrainte de Dark Crystal participe certainement aussi de l'ennui distillé par le déroulement du film. Le montage peut nerveux, l’enchaînement mécanique des séquences, la monotone des péripéties, témoignent douloureusement des difficultés de Henson a transposer son art au cinéma. Au fond, l'homme n'est vraiment pas cinéaste. J'avoue même trouver Labyrinth plus intéressant de ce point de vue. Il y a dans le film une inventivité graphique qui est mieux relayée par le récit, aux meilleurs moments on a le sentiment d'assister en direct à l'invention d'une histoire en forme de marabout-bout de ficelle, un sentiment de jubilation que ne provoque jamais Dark Crystal, placé dès le départ sur des rails dont il ne sortira jamais. Tout de même, le film fait preuve d'une certaine cruauté, typique des films grands public de l'époque (voir Enemy Mine, Monster Squad ou Gremlins par exemple), qui a le mérite d'incarner le sadisme des Skeksès, lorsqu'ils aspirent l'énergie vitale des Podlings pour prolonger leur existence.



Cette méchanceté de certains personnages, leur grossièreté inspire d'ailleurs bien plus les auteurs que les sentiments amoureux qui unissent Jen et Kira. Il y a d'ailleurs dans l'univers de Henson une problématique mysogine des personnages féminins qui n'est jamais résolue, l'exemple le plus évident étant bien sûr le personnage du Miss Piggy et sa relation à la limite du sadomasochisme avec Kermit. Il y a d'ailleurs là un couple de cinéma formidable, échappant complètement à l'orthodoxie de rigueur dans des productions grand public, et il faudra sans doute attendre Homer et Marge Simpson pour en trouver un équivalent, même si dans ce cas, c'est moins fort la relation étant réciproque. Et il n'est pas interdit de voir en Miss Piggy l'ancêtre des effeuilleuses du mouvement Burlesque, qui la reconnaissent sans doute comme précurseur.
On ne sera donc pas surpris d'apprendre qu'il n'y avait à l'origine aucun personnage féminin dans Dark Crystal, et que c'est sur l'insistance de sa fille que Jim Henson entrepris une réécriture en intégrant quelque uns. On ne sera pas surpris non plus d'apprendre que sa préférée était Aughra, monstrueuse prophétesse hors-norme.

Labyrinth, nouvelle collaboration Froud/Henson. Cette fois, c'est George Lucas qui produit, à la place, sur Dark Crystal, de Gary Kurtz, ancien producteur de... Star Wars !

Le film présente aussi un nouvel avatar de la figure de l'orphelin et du père absent avec Jen. Jen est comme Conan un orphelin « total », puisque comme lui son peuple entier a été exterminé. Il est aussi doublement orphelin puisque son père adoptif meure au début du film et c'est cette disparition qui provoque le commencement du récit.

La final échappe au programme attendu, et en réunifiant les méchants et les bons pour rétablir l'équilibre du monde conclut avec une tonalité inattendue et étrange qu'on aurait aimer goûter plus tôt. Dernier film (sortie américaine en décembre 1982) d'une année fondatrice pour la fantasy, héroïque ou pas, Dark Crystal, demeure aujourd'hui encore une œuvre sans descendance réelle, par la radicalité de son approche, excluant aussi bien les acteurs que les techniques d'animation traditionnelle pour bâtir un univers intégralement issu de l'imagination. Ce qui en fait un voyage parfois ennuyeux mais à l'exotisme total.

Jim Henson poursuivra son exploration du merveilleux d'une manière tout à fait intéressante, avec des récits plus resserrés et une  approche plus illustrative dans The Storyteller (Monstres et Merveilles ), à la télévision.





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