vendredi 26 octobre 2012

Revoir 1982 (26/31): Les 18 armes légendaires du Kung-Fu

LA CONQUETE DE L'OUEST
Les 18 armes légendaires du Kung Fu (Shi ba ban wu yi)- Liu Chia Liang- 1982- Hong Kong.


1982 ? Vraiment ? Dès le début du film de Liu Chia Liang, on comprend que personne n'a osé le mettre au courant. Jamais sorti des studios de la Shaw, (1) le réalisateur continue donc d'allonger sa filmographie de 1975, année de sortie de son premier film, The Spiritual Boxer comme si le monde se réduisait à Clearwater Bay. 

 



Car rien ne distingue Les 18 armes... des films qu'il tournait 5 ans plus tôt. Mais dire de Liu Chia Liang qu'il n'est jamais sorti des studios de la Shaw est à peine une image. Formé par son père, Liu zhan, au Kung-Fu depuis qu'il a 9 ans, il apparaît à ses côtés dans la série Huang Fei-hong sur laquelle il est directeur des combats dès ses 12 ans. De fil en aiguille, intégrant les plateaux hong-kongais, Liu Chia Liang finit par être nommé lui aussi directeur des combats sur la plupart des films de Chang Cheh à partir de 1965. Jusqu'au tournage de Marco Polo, en 1975, que Liu Chia-liang quitte pour partir tourner son propre film.
C'est que la prise de pouvoir des directeurs de combat est en marche. Le succès des films de kung-fu les a progressivement amené à tenir un poste décisif et la réussite de ces films repose souvent sur leur travail. Les tournages à l'économie, les scènes étant souvent filmés à une seule caméra en une prise unique, imposent aux directeurs de combat de penser non seulement la chorégraphie des affrontements, mais aussi leur mise en scène. L'importance prise par ces combats dans beaucoup de récits fragilise la position des réalisateurs jusqu'à la rendre dans certains cas dispensable. Entre 1975 et 1978, Liu Chia Liang, Samo hung ou Yuen Woo Ping vont signer leurs premières réalisations, The spiritual boxer, Iron fisted monk, Drunken Master. Tous des succès. Et des films avec un humour étonnant, contredisant en apparence le respect de la tradition incarné par ces réalisateurs/acteurs/cascadeurs qui sont parfois, comme Liu Chia Liang, des descendants directs des maîtres du monastère Shaolin.
La Kung-fu comedy est en plein essor, et Liu Chia Liang va lui offrir quelques joyaux, à commencer par ce premier film, The spiritual boxer à l'argument pseudo-fantastique, qu'on retrouvera dans Les 18 armes..., qui met en scène le même genre de personnages. Un spiritual boxer, c'est un pratiquant cherchant l'invincibilité par le Kung-Fu, la pratique de rituels magiques...et surtout pas mal de poudre aux yeux. Car il s'agit avant tout pour Liu Chia Liang de montrer le parcours édifiant de personnages se détournant de la fausse voie dans laquelle ils se sont engagés pour embrasser la pratique du vrai Kung-fu. Dans les deux films, la position du réalisateur est tout aussi ambiguë que lorsqu'il fait du rapport presque sacré du maître et de l'élève un sujet de comédie. Car il y a un plaisir, une sympathie et une habilité évidente à nous faire rire en mettant en scène des faux maîtres, des boxeurs ivres, ou des docteurs charlatans. Mais dans le même temps, il dit ne le faire que pour que nous désapprouvions le comportement de ces faux combattants tellement attachants. Cette envie de gagner sur tous les tableaux est parfaitement résumée dans cette scène centrale des 18 armes... . 

 


Une scène centrale par sa position dans le métrage bien plus que par son intérêt narratif. Pour offrir à Alexander Fu Sheng, tempérament comique du Kung-fu, sa grande scène de spiritual boxing, Liu Chia Liang va faire de sacré détours. Le fil conducteur du récit, dont les développements sont pour le moins baroques repose sur la traque d'un maître, Lei Gung, par des disciples de Yi Ho, la société qu'il a fui, désespéré par l'impureté du kung-fu qui y est valorisé. Ne sachant exactement où chercher, les poursuivants sont mis sur une fausse piste : ils entendent parler d'un puissant maître, attrapant des poignards volants avec les dents et lançant des boules de feu, entre autres pouvoirs remarquables. Persuadés qu'il s'agit de Lei Gung, ils retrouvent le charlatan en pleine démonstration publique. Comme souvent, il s'agit de se faire un peu d'argent facile en abusant de la crédulité des quidams du coin. Le personnage de Fu-Sheng nous a été présenté indépendamment de l'intrigue principale- Liu Chia Liang s'y attache bien plus que de raison mais il quittera le récit après cette scène pour n'y plus revenir- nous savons donc que ses adversaires sont en fait, ses complices. Dans cette mêlée jouissive, Liu Chia Liang se moque sans doute un peu de lui-même. Tous ces trucs que sa caméra nous dévoile (les effets pyrotechniques, les fausses blessures des armes tranchantes, les décharges « d'energie », les trucages gore ) ce sont aussi des trucs de cinéma, des effets auquel le réalisateur a recours lui aussi. Cette ironie sympathique est sans doute l'expression par Liu Chia Liang de sa dévotion à la pratique martiale, dont la représentation cinématographique ne saurait être l'aboutissement, pour orthodoxe qu'elle soit. 



Propagandiste infatigable de la vertu martiale, Liu Chia Liang, et c'est sa signature, n'a jamais cessé de prêcher pour une représentation sans effet de manche des arts martiaux à l'écran. Tout l'arsenal que Wuen Yoo Ping va populariser dans ses chorégraphies n'ont pas droit de cité sur les plateaux de Liu Chia Liang. S'il fera des compromis inévitables, le cinéaste est tellement attaché à sa vision du cinéma d'arts martiaux qu'il se disputera violemment sur le plateau de Drunken Master II, qui aurait pû être son magnifique chant du cygne, avec Jackie Chan, au sujet d'un câble qu'il refuse d'utiliser pour souligner la puissance d'un coup de pied à l'écran. Une dispute qui aboutira au retrait du cinéaste, et conclura tristement sa participation à la dernière œuvre remarquable de sa carrière.



Mais en 1982, c'est encore lui qui fait la leçon, et se permet même de prendre gentiment de haut celui qui lui a ouvert les portes du succès. A l'issu de son affrontement, Fu Sheng se retrouve les vicères à l'air (un de ses trucages!), et se promène comme si de rien n'était le ventre en sang et la tripe pendante. Une pique cinglante, à n'en pas douteux, à une figure de style typique de Chang Cheh, l'éventration d'un combattant, tourné ici en dérision.
Le film, très relaché dans sa narration- nous sommes très loin de la linéarité du récit de vengeance typique- relie plus ou moins logiquement les morceaux de bravoure martiaux. Et là, le bonheur est total.
Avec d'abord deux affrontements caractérisés par l’exiguïté de leur terrain : un grenier dans lequel les combattants ne tiennent qu'accroupis puis ensuite une ruelle haute et étroite.


Ruelle où, pour se cacher d'un troisième, deux combattants se dissimulent en hauteur, appuyant leurs jambes de chaque côté de la chaussée ! Les choses se compliquent encore lorsqu'il doivent cracher sur le chapeau du moine en contrebas pour imiter la chute de gouttes d'eau: leurs corps empêchent les gouttes du linge qui sèche de tomber, et l'interruption du son de leur impact sur le sol fait tendre l'oreille au disciple. 




On aura aussi vu, au début du film, des disciples montrer leur dévotion en s'arrachant les testicules et les yeux ! Leurs maîtres possèdent d'ailleurs le pouvoir de les manipuler comme des marionnettes en tripotant à l'écran des poupées de paille dont les comédiens reproduisent le mouvements à l'arrière plan.

 
Des idées à la fois poétiques, folles mais évidentes à l'écran qui justifient  à elles seules la vision du film. Sans compter ce feu d'artifice final reconnu par les amateurs éclairés comme un des sommets du ciné kung-fu.





Un morceaux de bravoure dépassant le quart d'heure dans lequel le maître exilé, Lei, affronte le meneur de la secte, en utilisant l'une après l'autre les 18 armes légendaires donnant leur titre au film, et dont apparaît le nom à chaque fois que les combattant s'en saisissent à l'écran. L'aboutissement logique d'une lutte de conceptions opposées. Car quand Liu Chia Liang filme des combats, ce ne sont jamais des hommes qui s'affrontent, ce sont des idées. Ici, une vision matérialiste du Kung-Fu, dont la conséquence est un rapport fanatique des maîtres envers les disciples. Opposée à la compassion et au respect dû à la vie défendus par Lei. Le kung-fu enseigné à Yi Ho est triplement corrompu : D'abord son obsession pour l'invincibilité du corps en fait une pratique oubliant que le perfectionnement technique et physique n'a de sens que s'il permet une dynamique spirituelle, à même d'instaurer pour l'individu un rapport vertueux avec le monde. C'est un kung-fu purement matérialiste.
Ensuite, c'est un enseignement dévoyant la relation du maître et de l'élève, en remplaçant le respect par la dévotion fanatique, allant jusqu'au sacrifice personnel de l'élève.
C'est donc aussi, enfin, un abus de pouvoir là ou devrait s'instaurer une relation pédagogique menant à l'émancipation de l'élève.
Son crédo, Liu Chia Liang le défendra jusqu'au bout, avec une intégrité sclérosant son art lorsque vient le temps de la chevalerie en apesanteur de Tsui Hark, et que sonneront les sirènes hollywoodiennes. Le cinéaste mordra même la main tendue par Jackie Chan. Et ne retrouvera un peu de son inspiration que lorsqu'il lui sera permis, occasionnellement, de refaire tel quel le cinéma qu'il pratiquait déjà en 1975, et qui au fond, n'évolua jamais d'un iota. Il y a au moins un tour de passe-passe auquel Liu Chia Liang veut bien s'abaisser : N'avoir jamais changé d'un cheveu, jamais bougé d'un centimètre, restant imperméable aux modes et au passage des ans, et pourtant nous livrer des films virevoltants et indémodables, ironiques et buissonniers, gracieux et contradictoires. Rigidité et souplesse dans le même mouvement.
Presque personne ne prenait en considération, à l'époque de leur fabrication ces films « de karaté » en provenance de Hong-Kong alors c'est une vraie joie- même à notre échelle minuscule- que d'en faire figurer aujourd'hui un des plus beaux aux côtés des autres réussites depuis longtemps célébrées de cette année 82. C'est là évidemment, qu'est sa place.



 Jackie Chan et Liu Chia Liang, sous le train de Drunken Master 2.



1: Symboliquement, bien sûr, puisqu'il a tourné sur le continent, notamment le très beau Arts Martiaux de Shaolin, second volet des trois films qui révélèrent Jet Li.



Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire