lundi 29 octobre 2012

Revoir 1982 (29/31): Poltergeist

L'INVASION VIENT D'ICI
Poltergeist- Tobe Hooper- 1982- Etats-Unis

A la simple lecture du titre de notre film du jour, votre cerveau cinéphage a probablement fait remonter à la surface la question, celle qui est immédiatement associée par l'inconscient cinéphile à Poltergeist.

Qui a réalisé ce film ?



Innombrables ont été les hypothèses, les interrogations, les enquêtes, jusqu'à l'absurde. Quelle importance, au fond ? Les images du film sont là pour nous faire comprendre ce que le film a à nous dire, et qu'y ajouterait une information définitive permettant d'en établir indiscutablement la paternité ?
Que la controverse existe, par contre, est révélateur d'un état du cinéma d'horreur américain, cette année-là, depuis une perspective que nous avons déjà effleurée. Nous avons dit de Creepshow et Swamp Thing qu'ils représentaient un abandon de l'héritage formel des années 70, par deux cinéastes, Georges Romero et Wes Craven, qui depuis ses marges avaient terrorisé le cinéma fantastique, en le ramenant dans des espaces domestiques, par des moyens de mise en scène emprunté, notamment, au documentaire. Tobe Hooper est le troisième de ces cinéastes fondateurs à devoir, en 1982, faire son inventaire. Il partage avec les films de Romero et Craven un ton récréatif, celui du film de divertissement familial de genre dont la formule est alors à l'étude ( pour très peu de temps encore, ET va sortir sur les écrans américains une semaine après Poltergeist ) et qui depuis est resté un des symboles les plus marqués du cinéma américain des années 80. Si Creepshow demeure classé R (Restricted audiences), Swamp Thing et Poltergeist sont PG, permettant aux enfants accompagnés de venir avec leurs parents. Si Swamp Thing est une sorte de film de studio sans en avoir le porte-monnaie, Creepshow et Poltergeist sont des films d'horreur à gros budget.

Poltergeist met en scène le succès phénoménal de Star Wars, et sa place dans la culture des petit garçons américains, 5 ans après la sortie du premier film.
D'ailleurs, de ces années 80 où l'on invente le blockbuster, non n'avons pas encore au l'occasion d'évoquer un de ces gros films de genre, conçu par un studio pour générer des recettes pharaoniques. Le terme, depuis Les dents de la mer, s'est répandu dans les medias. Et le nom de Steven Spielberg en est presque synonyme. Sa présence au générique de Poltergeist, le coût du film, le public qu'il vise en fait un des blockbusters de 1982. Même si les studios restent prudents. Epoque de transition passionnante, ce sont encore les films de professionnels aguerris qui bénéficient des plus gros budgets. Sidney Pollack (48 ans ), John Huston (76 ans), Richard Attenborough (59 ans) tournent Tootsie, Annie et Gandhi pour des budgets bien supérieurs à ceux de Steven Spielberg, Romero ou Hooper, tous né dans les années 40. C'est pourtant cette génération de Baby-boomers qui va prendre le pouvoir sur les cendres du nouvel Hollywood de leur grands frères, car l'année de Poltergeist est aussi, pour Spielberg, celle du triomphe de E.T, qui domine le box-office mondial avec un succès que seul Star Wars a connu auparavant. Tout l'interêt du film de Hooper, contrairement à ceux de Craven et Romero, c'est de faire du devenir de cette génération du baby-boom l'un des sujets du film.

C'est le harcèlement par des fantômes vengeurs de la famille Freeling que raconte Poltergeist. Mais qui sont les Freeling ? Littéralement, si on se fie à leur nom, des « habitants de la liberté ». Autrement, dit, des hippies, et dialogues et scènes d'exposition vont nous permettre de retracer, subtilement, le parcours des parents Freeling. Au détour d'un échange avec l'équipe de para-psychologues, on apprend de la bouche de Steven, le père, que sa femme à 32 ans (elle est donc née en 1950, ce qui lui fait exactement 18 ans en 68 ) et que l’aînée de ses 3 enfants a déjà 16 ans. Pas difficile d'imaginer que Diane a du devenir fille-mère au détour de ses pérégrinations au pays de l'amour libre et de la jouissance sans entraves. Steven a du faire face très tôt à sa responsabilité de père. Nous apprendrons plus tard que les Freelings furent les premiers à s'installer dans le lotissement de Cuesta Verde, et que leur fille cadette naquit même dans la maison. Steven fut donc un des premiers employés de Mr Teague. Diane est une mère au foyer. Un archétype aujourd'hui impossible à imaginer. Parions que dans l'inévitable remake de Poltergeist, son personnage sera devenu architecte d'intérieur, illustratrice ou romancière, de préférence pour la jeunesse. Mais à la charnière des années 70 et 80, une maman peut être à la fois à la maison et être présentée comme une super-woman qui mène tout de front. C'est exactement ce que font les premières scènes. Steven est endormi devant la télévision. On devine que c'est une situation banale et sans doute quotidienne. Le dimanche, Steven se retrouve aussi devant la télévision, mais pour regarder le foot avec ses copains. En parallèle des libations sportives du groupe d'hommes, nous suivons Diane. Et elle est très occupée. Ranger la chambre des enfants, découvrir que le canari de sa cadette, Carol-Anne, est mort. La petite fille s'en aperçoit, et Diane doit l'accompagner dans sa première découverte de la mort pendant que Steven et ses copains se comportent comme des enfants. Il est donc le mari qui travaille trop, pour ramener l'argent du ménage, pendant que la mère de ses enfants s'occupe du reste. Les Freeling sont ces hippies devenus parents trop jeunes, projetés dans le monde du travail par la nécessité de nourrir leur famille, qui travaillent trop pour payer leurs crédits.

Dans la suburb de Cuesta Verde, même les télécommandes sont identiques d'une maison à l'autre. La télé de Steven change de chaîne quand son voisin actionne la sienne.
Mais leur portrait n'est pas si caricatural. Lorsque nous retrouvons les Freeling au moment de s'endormir, Diane fume un joint tandis que Steven un œil sur la télé lit le livre de Reagan « The man, the president » . Il semble que Diane n'ait pas tout à fait renoncé à son mode de vie adolescent- elle est restée très belle, tandis que son mari constate qu'il a perdu sa ligne svelte au profit d'une bedaine bien rebondie. Si Diane est restée ouverte d'esprit ce n'est pas envers les idées Républicaines, mais à l'inconnu : lorsque les fantômes se manifeste en faisant bouger des objets dans sa cuisine elle est excitée et passe la journée à observer, avec un protocole presque scientifique (et sa fille comme sujet de test!) les invariants des manifestations. Lorsque les attaques des revenants prendront des proportions terribles, Steven tentera de protéger ses enfants- qu'il aime sincèrement. Mais lorsqu'il se précipite pour sauver son fils de l'arbre anthropophage, il est en fait au mauvais endroit, c'est Carol-Anne qui est enlevée à l'étage, et à la fin, lorsqu'il doit tenir la corde reliant Diane et sa fille à notre monde, il prend peur et lâche trop tôt. Sans ambiguïté, dans le film, ce qui compte vraiment ne peut être accompli que par les femmes, et les assistants du docteur Lesh font eux aussi défaut, à un moment ou à un autre : lorsque les fantômes envahissent le salon, Ryan regarde ailleurs, négligeant les écrans de surveillances disposés devant lui, et Marty sera victime d'un hallucinante morbide le poussant à abandonner la mission de sauvetage de la maison Freeling. Enfin, Mrs Tangina révèle que l'esprit derrière les manifestations n'est autre que le diable, auquel elle se réfère en parlant de Lui (He).

Steven Freeling, ancien hippie tenté par les idées Républicaines ?
Et que leur veut-il, Lui, au Freeling ? La première manifestation des esprits a lieu juste après l'étrange séquence d'ouverture. Carol-Anne, seule, redescend de sa chambre pour s'approcher de l'écran de télévision, qui ne diffuse plus rien d'autre qu'un écran neigeux. Elle touche l'écran de ces deux mains, composant une des images les plus célèbres du cinéma d'horreur. Les esprits sont entrés en communication avec elle via la télévision.

Bien sûr, la multiplication des télévisions dans les foyers américains -les Freeling semblent en avoir une dans chaque pièce- est un objet de satire pour Hooper. Mais cela dit aussi quelque chose du rapport des cinéastes à l'image télévisée. Au début des années 80, la télé cablée n'en est qu'à ses premiers pas, et pour Spielberg et Hooper, enfants des années 40, et première génération à avoir construit sa culture de l'image par la télé, les programmes n'étaient pas choisis. Sans moyen d'enregistrement, on regardait ce que les programmateurs voulaient bien diffuser. De fait, pour Spielberg et Hooper, c'est bien la télévision qui décide de ce que vous allez regarder. Cette manifestation des esprits par le téléviseur n'est que l'avatar le plus photogénique d'un ensemble de phénomènes paranormaux centrés sur le pavillon de banlieue habité par la famille. Comme la télé, la maison dans la suburb est un symbole puissant du mode de vie américain, antérieur aux années 80 et dont l'image demeurera opérationnelle bien après- je pense ici au cinéma de Tim Burton ou Joe Dante. 



La banlieue: Poltergeist (1982)...

Edward Scissorhands (1990) ...
The 'Burbs (1989)
L'invention dans Poltergeist se limiterait donc à transposer la hantise jadis réservée aux manoirs gothiques aux territoires les plus banals de l'Amérique ?

C'est plus subtil que cela, en fait. A l'origine du mal, dans Poltergeist, il y a un sacrilège dont nous prennons la mesure très progressivement, au fur et mesure des révélations et des relances d'un scénario bâti suivant les canons du bon blockbuster qui en offre toujours un peu plus à chaque scène, jusqu'au feu d'artifice final. Et Poltergeist, en la matière, ne fait pas dans la demi-mesure. Diane, tombée dans la fosse qui, dans son jardin, doit être aménagée en piscine, semble attaquée par des cadavres (il paraît qu'ils sont vrais!) mis à jour par les travaux. Ces corps momifiés, on ne peut en douter, sont presque contemporains des Freeling : ils portent encore leurs habits et ont des bijoux. A ce stade du film, nous comprenons, en même temps que Steven le dit, que la rue a été construite sur un cimetière dont on n'a déplacé que les pierres tombales, pas les corps. Et ces corps, ce sont les corps d'autres américains, ceux qui étaient là avant que la suburb ne s'étende. L'envahisseur de Poltergeist, ce ne sont pas les fantômes mais bien la banlieue elle même. Et la figure du patron, auquel Steven finit par s'opposer - en redevenant un peu du jeune homme anti-conformiste qu'il a été- auquel Hooper et Spielberg ont pris soin de donner un visage à l'écran, est présenté comme l'entrepreneur sans scrupule, prêt à commettre un sacrilège et à s'asseoir sur la mémoire des fondateurs par goût du profit.

Quand la banlieue envahit le territoire des morts... Ils se vengent !
S'il n'est jamais très clair, dans le film, du but exact que poursuit le diable, sa dernière manifestation est limpide : il avale littéralement la maison des Freeling, qui implose, aspirée par le sol. Auparavant, il semblerait que Carol-Anne ait été enlevée pour servir d'appat à des âmes errantes, détournées de « la lumière » par Lui. La plupart des scènes de manifestations paranormales impliquent un symbolisme féminin fort et des oppositions entre images masculines et images féminines. Le diable utilise la sollicitude féminine pour attirer les âmes qu'il convoite, tandis que Steven est forcé par le Dr. Lesh, à contrecoeur, à prendre sa place de « vrai » père en menaçant sa fille d'une fessée. Lorsque Diane va chercher sa fille dans l'au-delà, c'est reliée par une corde toute ombilicale pour ressortir grâce à un nouvel accouchement à peine imagé. Steven, malgré sa bonne volonté n'est encore une fois d'aucune aide durant la scène : il a peur et lâche la corde trop tôt. Et le monstre, sous sa forme finale et ultime devient un grand vagin denté. On ne saurait être moins sibyllin. 

A quoi vous fait songer cette ouverture dentée ? ... oui, moi aussi.
L'escalade dans le spectaculaire est d'ailleurs une des règles du blockbuster à la 80's dont Poltergeist est un cas d'école. Dans le film, il se passe tout le temps quelque chose. Même lors des simples scènes d'exposition du début. Si tout le monde dort, on réveille le chien pour nous accompagne d'une pièce à l'autre. Il fait nuit ?: Créons de la tension en transformer la neige de la télévision en lumière stroboscopique qui clignotera dans tout le plan. Un copain de Steven le rejoint à vélo ? (et nous présente la rue et les pavillons) : ajoutons des enfants qui le poursuivent de leurs voitures télécommandées ! Et même quand le récit se fait plus solennel et posé, le montage, piquant, rend le déroulement rythmé et dynamique. Par exemple, on coupe de la main de Diane tenant le canari au dessus de la cuvette à Carol-Anne l'observant et découvrant ce que sa mère voulait lui cacher, ou de Carol-Anne s'écriant « on peut avoir un poisson rouge maintenant ? » au plan du bocal sur le bureau.
Il y aussi l'escalade des manifestations fantastiques. Si les fantômes se contentent d'empiler des chaises hors champ (superbe panoramique aller-retour en plan séquence.) au début du film, il faut qu'ensuite les objets tournoient dans une pièce plein cadre, attaquent des personnages, se transforment en monstres, jusqu'à aspirer la maison tout entière.
Mais si cette construction est typique du récit hollywoodien des 80's, on ne peut s'empêcher d'y voir aussi le goût de Hooper pour le bric-à-brac de train fantôme, et la promenade dans la Fun House qui donne la chair de poule. Ce qui fait de Poltergeist un film plus entraînant qu'effrayant- et qui justifie d'ailleurs son classement PG, rare pour un film d'épouvante. Le message du film, aussi participe à sa perception de film d'horreur grand public. Car si le joli E.T est un film d'enfants sans père, un peu abandonnés, qui dans le même décor exactement que Poltergeist vont faire une belle rencontre, la famille de Hooper, à l'inverse, grâce à ses horribles invités, va se ressouder. 

Activités paranormales
J'ai insisté sur l'incompétence de Steven en tant père, en tant que mari. Malgré tout, le film ne verse jamais dans la caricature, et finalement, autour de la disparition de Carol-Anne la famille va se retrouver. Toujours très symboliquement, Steven déserte son travail et sa seule préoccupation devient le retour de sa petite fille. Dans l'épilogue du film, tous se retrouvent dans une chambre d'hôtel où il faudra probablement partager un ou deux lits, alors que chacun, dans le pavillon, avait sa propre grande chambre. C'est tout le paradoxe et le charme de Poltergeist que de faire frissonner en divertissant, de faire peur en nous rassurant sur la solidité des valeurs familiales, d'exalter le courage maternel sans se passer des pères, de dresser un tableau grinçant de l'Amérique des suburb et des yuppies tout en nous assurant qu'il n'est jamais trop tard pour faire les bons choix. Film à la paternité discutée, à la gestation difficile, Poltergeist est aussi cet excellent film d'horreur maîtrisé de bout en bout et un des plus représentatifs de son époque- regrettée par l'auteur de ses lignes.

La famille réunie.
P.S : Il faut dire aussi la beauté de la musique de Jerry Goldsmith, enchanteresse même dans les moments d'horreur. Son score est un des bijoux de cette année miraculeuse qu le voit composer First Blood, Brisby and the secret of N.I.M.H, Poltergeist et The Challenge. Nous avons sans aucun doute largement oublié, en regardant les films hollywoodiens actuels, combien la musique participe à la construction d'un personnage, d'une émotion, d'un film entier. Que serait l'innocence de Carol-Anne sans cette mélodie là ? :







Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire