samedi 6 octobre 2012

Revoir 1982 (6/31): Double Feature- On la refait ! : La féline

DOUBLE FEATURE: ON LA REFAIT ! : La Féline
La féline (Cat People)- Jacques Tourneur- 1942- Etats-unis
VS.
La féline (Cat people)- Paul Schrader- 1982 Etats-unis

Double Programme le samedi soir, comme l'an dernier ! Cette fois, on voit double. Chaque semaine, on se recolle devant deux films d'affilée, l'un étant toujours le remake de l'autre, et l'un des deux nous provenant, évidemment, de l'inénarrable an 82. On démarre les miches à l'air et les pieds dans le sang avec La féline et La féline.






VS.


Sur le même principe que les agressions animales de 2011, nous passerons les films et leur remakes au tamis d'un questionnaire identique chaque semaine, donc voici les questions:
1.Mais pourquoi il voulait le refaire, ce film, il est pas bien ?
2.C'est pas vrai. Ils ont changé la fin ?
3.Et ils ont pris qui, pour le refaire ?
4.Franchement, les effets spéciaux ils  avaient pas l'air vieux ?
5.Ça m'a donné envie de revoir l'autre, non ?
6.Et la scène là, il y est aussi dans le nouveau ?
7.Alors c'est lequel que tu préfères ?
8.Et ils pensaient que ça allaient marcher ?

 

1. Mais pourquoi il voulait le refaire, ce film, il est pas bien ?

Chef de gare :
Je crois que les cols blanc de la Universal, qui avait récupéré le catalogue RKO, avait envie de faire un beau cadeau au film de Jacques Tourneur. Du coup, il lui ont offert un pur lifting made in Los Angeles, pour ses quarantes ans pile poil. Mis à part ce sentimentalisme bien compréhensible de la part des exécutives déjà redoutables de l'époque, le remake de La féline s'intégre à un ensemble de classiques du studio dont Universal cherche à produire des nouvelles versions. Nous parviendrons, finalement, The thing, de John Carpenter, remake de La chose d'un autre monde, de Howard Hawks et Christian Nibly, puis La mouche et La mouche, de David Cronenberg et Kurt Neumann. L'un des deux est un chef d'oeuvre, l'autre un excellent film, et le troisième...le troisième, c'est La féline de Paul Schrader.

Matthias : On peut en effet se poser la question de l'opportunité d'un remake de ce film de 1942, aux ambitions très « raccords » à l'époque. Un tel chantier n'est d'ailleurs pas sans rappeler la mise en route du remake de King Kong en 1976, d'après le film de 1933, produit à l'époque par la même RKO – c'est peut-être là le destin de la RKO que de devenir un réservoir à remake...
Toutefois, on peut supposer que ces deux remakes ont pour origine un peu les mêmes raisons : la charge érotique détournée du film original peut en 1982 désormais « s'expliciter », le parfum de souffre entourant le succès de l'original – pour La Féline, un micro-film au maxi-box office – devant être le garant d'un nouveau succès scandaleux. C'est sans compter sur l'époque : si le code Hays en vigueur en 1942 corsetait un cinéma qui devait déployer des trésors de mise en scène pour insuffler une forme subversive au désir, en 1982 les limites de la représentation du désir et du sexe à l'écran se sont très largement déplacées – peut-être est-ce d'ailleurs là l'échec a priori du film de Schrader : si un baiser suffisait à transformer une femme à l'écran dans les années 40, on peut désormais « la faire coucher » avec n'importe qui, tout le monde s'en fout... De là à trouver un autre motif de transgression, et bien, pourquoi pas l'inceste entre frère et soeur ? Seulement, on sent bien que Schrader, ça, il y croit beaucoup moins... Comme si la jalousie, le désir sexuel ou l'envie de meurtre n'était plus des sujets transgressifs !

3.Et ils ont pris qui, pour le refaire ?

Chef de gare : Derrière la caméra, c'est donc Paul Schrader, qui à ce moment de sa carrière se voit proposé un film de studio, qu'il accepte parce qu'il a envie de se baigner dans des rivières de billets verts comme ses copains Coppola et Scorcese. Du film de Tourneur, il ne pense rien. Il dit qu'après l'avoir vu trois ou quatre fois il l'a mis de côté en y restant indifférent. Il a donc accepté le remake en y voyant l'occasion de faire un fil de genre, un horror movie. Et pour permettre à Ferdinando Scrafiotti de s'offrir les moyens d'une direction artistique luxueuse, qui est sans aucun doute la meilleure chose dans le film de 1982. L'appartement d'Oliver dont la chambre à coucher, avec ses poutres verticales comme des piliers et ses fenêtres en ogive ressemble à une église, les escaliers évoquent des cages enfermant Irena lorsqu'elle est filmée au travers de leurs barreaux droits, toute la conception visuelle est très réussie. 

Matthias : Devant la caméra, il a donc été rajouté un personnage, Paul, le frère de Irena, incarné par Malcom Mac Dowell, décidément habitué aux rôles de frère incestueux, ou encore aux ultra-violents sexuellement perturbés. Convier l'interprète de l'Alex d'Orange mécanique ou du Caligula porno-péplum de Tinto Brass, n'est évidement pas un geste anodin : toute la charge « dérangée » du film est incarné par cet acteur aux yeux exorbités et à la bouche tordue durant tout le film, figure prétendument transgressive, en réalité pantin correspondant aux nouveaux poncifs du genre à Hollywood, cette machine à tout récupérer, et à tout dévitaliser... Ce que Schrader devait penser comme l'élément subversif de sa nouvelle version vient donc en réalité renverser ses valeurs : son Cat people est finalement incarné par un cabot...


Chef de gare : Mc Dowell a effectivement rarement été aussi mauvais. Il joue la folie en écarquillant le yeux, et le désir en se frottant au corps de Kinski chaque fois qu'il peut la frôler. Je recommande particulièrement la scène ou devant un miroir, il lape d'un coup de langue un bout de peau morte gélatineuse collée à son torse nu et la mâche en roulant des yeux et en penchant la tête.

Et dire qu'il a même pas eu l'oscar.


2.C'est pas vrai, ils ont changé la fin ?

Matthias : Et ça dit tout ! Et ils ont changé le début aussi. La Féline de 1942 nous raconte l'histoire d'une émigrante, isolée, mais tentant de s'intégrer à un monde qui n'est pas le sien, parce qu'elle cherche à fuir définitivement l'univers archaïque dont elle est issue – la Serbie de 1942 est un peu décrite comme la Serbie de ce fameux roi Jean, roi moyenâgeux, qui réprimait au nom du Christ les orgies et sabbats diaboliques de « Cat people ». Toute cette histoire, digne de l'évocation dans Bram Stoker's Dracula par exemple, des récits légendaires d'Europe de l'est, est celle qui fonde le récit du film de Tourneur : Irena est une jeune femme entre deux continents, entre deux époques, entre deux rationalités, celle du mythe religieux et celle de la science moderne de l'esprit, la psychiatrie et ses débordements encore très étranges comme l'hypnose – l'image peut-être la plus fantastique du film, avec l'ovale blanc du visage de Irena circonscrit dans l'obscurité.

Irena... plongée dans l'hypnose. Poésie incomparable de la lumière chez Tourneur.

 De cette histoire de l'émancipation impossible d'une jeune femme dans un monde qu'elle croyait accueillant, nous passons avec Schrader à une intrigue autour de la figure de l'inceste : la malédiction, qui ouvre le film dans des couleurs très Fantasy new-age - décidément l'une des tendances lourdes de cette année – est toute « rationalisée » : Paul et Irena appartiennent à une race qui ne peut se mélanger au reste du monde, ils doivent donc coucher entre eux pour se reproduire et au passage assouvir leurs besoins sexuels. Irena se refusant à son frère – on la comprend...- Paul se trouve donc transformé en un Jekyll/Hyde tout ce qu'il y a de plus classique. Cette histoire-là, on nous l'a déjà racontée...
Quant à la fin, donc, en 1942, dans un ultime geste tout à fait dans le propos du film, Irena avant de mourir, ouvre la cage qui retient la panthère qu'elle vient visiter chaque jour au zoo sans trop savoir pourquoi, tandis qu'en 1982, c'est la même Irena qui se retrouve enfermée sous sa forme de panthère dans cette cage, par son amant, conservateur du zoo... Tout est dit.

séquence onirique du film de Jacques Tourneur: Le rêve de la femme panthère.


Chef de gare : Effectivement. Revenons aussi sur le début du film, que tu évoques. L'ouverture de Tourneur est magnifique. Irena est en train de dessiner la panthère. Elle est donc présentée comme une personne non seulement créative, mais à la créativité alimentée par de puissants tourments intérieurs: on découvrira que son dessin s'inspire certes de la panthère qu'elle a sous les yeux, mais en la plaçant dans une scène imaginaire, sorte d'auto-portrait fantasmé. La jeune femme est agitée: elle n'est pas satisfaite de son dessin, et sa frustation va jusqu'à dechirer la feuille de son carnet. Elle la jette vers la poubelle, mais le papier tombe à côté. Apparaît Oliver- il ramasse le papier et le place dans la poubelle. Sans mot dire, il pointe du doigt à l'intention d'Irena le panneau invitant à ne pas laisser de détritus. Oliver est donc représenté comme un vecteur de l'ordre- son geste vers le panneau- mais aussi comme un homme presque bon, prêt à prendre sur lui la réparation de la faute de l'autre. Pour Irena, il est donc aussi un facteur d'intégration. En une scène, sans avoir besoin de recourir à une imagerie sexuelle, Tourneur esquisse toute la relation d'Irena et d'Oliver. Voilà une idée extrêmement élégante, subtile du cinéma. Il me semble déloyal de reprocher à Schrader la sur-figuration sexuelle de son film- après tout pourquoi pas ? Mais au fond, il ne la dépasse jamais. Il semble que se qui l'interesse au fond soit de film Nastassia Kinksi se déshabillant- à tous les sens du terme. Même si cette ambition se traduit bien timidement dans le film. On a vue des metteur en scène pousser autrement plus loin dans leur retranchements leurs comédiennes.
Et le parcours des personnages et la vision morale de Schrader relèvent aussi d'un conformisme que le cinéma fantastique que j'aime malmène ou à tout le moins interroge. Et le point d'interrogation, ça ne fait pas partie du repertoire de ponctuations de Schrader. En fait, le film de Tourneur, 40 ans avant est bien plus moderne. 


Schrader: La femme en cage.
 

4. Franchement, les effets spéciaux ils avaient pas l'air vieux ?

Mattias : L'autre raison accessoire à tous ces remakes du fantastique des années 30 et 40, c'est bien entendu le sentiment de nouveauté apporté par les effets spéciaux, un classique du genre pourrait-on dire. Et là, bien évidemment, 30 ans après, on rigole un peu... Après le loup-garou de Landis, la panthère de Schrader... Là encore, probablement quelque chose d'intéressant aurait pu émerger d'une association de la sexualité explicite – la nudité frontale de Kinski, les scènes de sexe – et la métamorphose monstrueuse, rendue possible par les effets spéciaux de 1982, mais il semble bien que Schrader se contrefiche de la manière dont il filme cette séquence de transformation. Il fallait cette scène, c'est comme inscrit dans le cahier des charges de la production de ce remake, il la fait. Voilà. En miroir, la métamorphose tout en ombres chinoises du film de Tourneur prend une intensité qui prouve bien que le cinéma ce n'est décidément pas de la technique...

Reprise du motif pictural de la séquence de l'hypnose: le halo autour du visage. La béatitude de la terreur ?
La même séquence chez Schrader: trouvez la différence, vous aurez compris la valeur ajoutée en 1982.

 
Chef de gare : D'autant plus que cette transformation de Simone Simon, on est jamais sûr d'y avoir assisté vraiment. Celle de Schrader, il faudrait tourner le dos à l'écran pour ne pas la voir ! Et on le sent tellement malheureux de devoir enlaidir la Nastassia qui lui vrille la tête et le reste qu'il en oublie qu'il y avait effectivement là l'occasion d'un moment vraiment subversif. Car à vouloir figurer ce que le film de Tourneur ne fait que sous-entendre, Schrader se prend sacrément les pieds dans le tapis. En 1942, Oliver finit par comprendre- et dire- que ce qu'il éprouve pour Irena, c'est un pur désir sexuel, inimaginable pour l'époque de fonder une relation de mari et femme sur une telle pulsion. C'est cette prise de conscience qui lui fait renoncer à Irena- soit son propre sentiment et pas la nature de la féline, qu'elle soit fantasme et réalité. C'est aussi la force du film de Tourneur que de pouvoir jouer à la fois sur le sous entendu, et en même temps poser avoir un vrai point de vue sur les personnages. En 1982, pour Schrader, c'est évidemment de la sauvage panthère qu' Oliver est amoureux, au point de vouloir lui faire l'amour aussi. Mais là où justement, dans cette scène de transformation, il pourrait ce confronter figurativement - puisque c'est son unique mode de représentation- au désir d'Oliver pour du laid, Schrader baisse les bras et fond au noir

6.Et la scène là, il y est aussi dans le nouveau ?

Chef de gare : Malgré ce qu'affirme Schrader, je trouve qu'il y a plus d'une scène de son film a s'inspirer de celui de Tourneur. Mais bien sûr, Schrader pense à la scène citée le plus directement, la fameuse baignade d'Alice- plus connue sous le surnom de "scène de la piscine". Dans le film de 1942, elle se distingue à la fois comme sommet d'angoisse dans le récit, mais aussi comme accomplissement plastique de tout le projet esthétique de Tourneur, et enfin parce qu'elle est un concentré parfait de l'art de ce cinéaste, un moment de cinéma qu'on pourrait presque isoler du récit pour montrer de quoi est faite la touche si particulière de Tourneur. 


Que Schrader ai éprouvé le besoin de la reprendre à l'identique est étrange- elle n'est absolument pas nécessaire à son film, qui établit bien et sans ambiguité la réalité de l'étrange malédiction d'Irena, et qui ne traite pas la rivalité entre celle dernière et Alice, là ou la jalousie des deux femmes est un des aspects les plus forts chez Tourneur. On croirait presque que Schrader a voulu parodier la scène, d'ailleurs, lorsqu'on comprend que son seul apport est de filmer Alice seins nus dans la piscine !

Matthias : La scène d'ouverture du film de Tourneur est reprise un peu plus tardivement dans le récit dans celui de Schrader. Et là aussi, la comparaison est cruelle... En 1942, Irena dessine cette panthère par fascination, autant que habitude – elle est styliste, dessiner, c'est son métier, les robes des femmes comme les robes de fauves. Elle n'hésite pas à jeter ses croquis, et c'est d'ailleurs ce geste qui lui donnera l'occasion de rencontrer Olivier dans une scène qui commencera par se passer longuement de dialogues – une scène de séduction quasi-animale pourrait-on dire. Chez Schrader, cette scène du croquis est reprise, mais n'a comme seule fonction que de « glamouriser » la belle Nasatassja Kinski – qui n'en a d'ailleurs pas besoin – Irena se transforme en femme-enfant oisive, vaguement artiste, un peu illuminée – voire littéralement lorsqu'Oliver la « débusque » devant la cage aux panthère, en pleine nuit, dans un zoo baigné de ténèbres et qu'illumine donc seulement cette femme seule occupée à dessiner. Schrader ne semble finalement avoir qu'un seul projet avec ce film, qui certes ne rejoint pas du tout celui de Tourneur : s'ébahir de la beauté presque coupable de son actrice principale – son amante durant le tournage du film. Revoir à ce propos la dernière scène de sexe du film, sado-maso très vaguement assumé. Certes, cela aurait pu être intéressant, mais en fait, ça ne l'est pas. C'est que probablement les producteurs du film n'avaient pas tout à fait la même idée de ce que devait être un film d'horreur. Un exemple flagrant de malentendu entre ceux qui font le film : un genre de Panthère-garou de New Orleans, ou un Portier de nuit animal ? 

 

Chef de Gare : Je ne suis pas certain de ce malentendu. Schrader dit que le film est sorti tel qu'il le voulait, et qu'en allant voir une des premières séances avec Brucheimer, assis derrière deux teenagers qui s'exprimer Oh my god ! Devant la scène bondage, ils se sont dit « Oh, on est peut-être allés trop loin là » Je crois qu'au contraire c'est un de ces films de réalisateur star ou où lâche la bride à un talent qui a une vision, comme on dit à hollywood.


8.Et ils pensaient que ça allaient marcher ?

Chef de gare : Faut croire ! Jerry Bruckheimer, déjà le goût de la flambe, a quand même fait cracher 18 millions de dollars à la Universal pour le trip porno-soft de Schrader. Presque le double de E.T ! Ils ont dû faire un peu la tête en voyant les recettes- moins de la moitié du budget, et se dire que ce n'était peut-être pas une bonne idée que de se passer totalement de projection test. Le parfum des 70's aromatise encore le film de Schrader, et on semble encore croire à la possibilité de succès surprise de films dans lesquels les cinéastes s'abandonnent avec la bénédiction des exécutifs à leur lubies personnelles. Nul doute que le film de Schrader fait partie de ceux qui ont précipité la chute des auteurs rois, dont le coup d'envoi est généralement attribué à La porte du Paradis de Michael Cimino l'année précédente. Schrader ne s'en remettra pas et ne retravaillera jamais avec un studio, jusqu'à la débandade finale de L'Exorciste: au commencement- dont sa version, pourtant achevée ne sortira pas et sera entièrement refaite par Renny Harlin. Difficile à croire, et pourtant c'est possible: Schrader subit un sort encore pire que celui qu'il a infligé à Tourneur, son film étant remaké en direct sans même être montré au public ! Ironie du sort, ou vengeance occulte des héritiers de Tourneur, 22 ans après ? En tous cas, gare: Remake bien qui sera remaké le dernier !

7.Alors c'est lequel que tu préfères ?

Matthias : Comme s'il pouvait y avoir le moindre doute... Si l'original de Tourneur est évidemment un chef d'oeuvre, le voir ou le revoir ne peut que le confirmer, celui de Schrader, non seulement est un mauvais film, mais plus grave, il est raté – et ça, c'est coupable, parce que tout de même lorsque l'on a cette matière sous la main, rater un film à ce point là... Dans ces early eigthies où l'Amérique après près de vingt ans de doutes, et conséquemment d'ouverture au monde, se referme tout à coup, revient précisement à une mythologie nationale typique des années 40, pleine de certitude, sur la morale, le bien, le mal. L’Amérique renoue avec le puritanisme étroit mis à mal par les contre-cultures des deux décennies précédentes. La féline fournit une matière dont un tel sujet pourrait être le coeur : comment la bête enfermée en nous peut se manifester, voire être apprivoisée ? Une image littérale du la dualité du désir, du mystère de la sexualité, de la complexité de l'amour. A la place de ce programme dérangeant, nous avons finalement droit à l'érotisme tout à fait convenu des podium de mode – il faut voir certaines scènes où, nue, Kinski semble défiler devant le spectateur...
Finalement le puritanisme s'accommodera sans aucun problème d'une marchandisation du sexe, qui lui permet surtout de le maintenir là où il doit être. La fin d'une certaine utopie...

Chef de gare : Le film de Tourneur est un envoutement, un chef d’œuvre dont les images te hantent pour toujours et dont une part de la fascination s'exerce par des  moyens difficiles à circonscrir par les mots. 
Je n'ai pas un point de vue si radical que Matthias sur le film de Schrader. C'est un film encore largement ancré dans les années 70. Schrader fait le film, mauvais ou bon, qu'il a besoin de faire avant de prendre en considération les attentes du studio ou du public. Mais il sacrifie aussi à des conventions du genre : la scène de la piscine, les moments gore, le suspens qu'il essaye de construire dans certaines scènes. On sent qu'il rêve d'un parcours semblable à des cinéastes dont il est l'ami ou le scénariste. Je crois qu'il y a un vrai désir subversif de Schrader envers son sujet, qui le fait envisager son film non plus comme le horror movie de genre envisage au départ mais comme un auteur. Et ce dérèglement du programme, ce geste artistique, le studio le soutient. Mais Schrader est tellement imprégné du calvinisme de son éducation (il y a même une peinture de la cène dans le bureau de l'hotêl de passe bon sang!) qu'on sent bien que pour lui, filmer Oliver qui attache Irena, c'est le summum de la déviance. Or finalement, le traitement des personnages et le déroulement du film ne dépassent jamais le dogmatisme de la vision de Schrader, et au contraire, le renforce. Oliver n'est jamais déstabilisé dans son identité par son désir pour Irena, il finira par la domestiquer, avec son consentement. La monstruosité possible- et donc la menace du désir féminin n'est en fait jamais représentée, et même, au fond, n'existe pas dans le monde de Schrader. Le traitement des personnages masculins est vraiment éloquent. Dans le film de 1942 Oliver quitte Irena avec une lucidité impitoyable, et pour moi, Tourneur est avec Irena contre Oliver, où en tout cas, il regarde Irena avec empathie, pas avec désir. Schrader lui qui est saturé de désir pour Kinski finit par la montrer dans une cage, après que toute consentante, elle aie satisfait Oliver. La fin qui devrait être amère est au contraire une sorte de triomphe de la vision morale de Schrader. Au bout du compte, tout est retombé en place : l'homme est marié devant dieu, la femme pécheresse est en cage. Rien, dans ce qui s'est produit, n'a dérangé les frontières intérieures d'Oliver, ni d'Irena, ni de Paul, ni d'Alice. Les image de Schrader sont sans mystère comme les petites peintures sulpiciennes dont il parsème ses décors. Ce sont des images qui ne suggère jamais rien et qui ne montrent que ce que la caméra filme. Dans La Féline il y a beaucoup de nudité et aucun érotisme.

Un peu avant, Irena était vierge. Vous saisissez la métaphore ?

Cela étant bien dit, je regarde le film de 1982 avec un certain plaisir. J'aime la séquence générique. Le désert rouge passion qui dévoile les crânes et les ossements, Eros et thanatos ! Ça n'est pas bien subtil mais le symbolisme de l'illustration me flatte l'oeil tout comme les décors de la nouvelle Orléans et les beaux Matte-paintings de Syd Dutton (le zoo, l'arbre au début ). Mes oreilles, elles, sont flattées par la musique de Moroder, et la très bonne chanson de Bowie. J'aime des détails saisis au vol et vivants comme la conductrice du taxi qui a deux paires de lunettes l'une sur l'autre ou l'orang-outang qui regarde un soap à la télé. Et évidemment, même si je suis totalement insensible à la plastique de Nastassia Kinski, Schrader finit par attraper quelque chose d'elle, à la fois fragile et conquérant qui provoque parfois cette émotion que seules les images d'une actrice prise dans le regard d'un cinéaste peut procurer.

Pour moi le film a un pied dans les années 70- c'est la volonté de traiter une relation sulfureuse, Schrader veut refaire Le dernier tango à Paris (Scarfotti, le directeur artistique l'a été sur le fil de Bertolucci) plutôt que La Féline, et le studio est encore prêt à miser gros sur les délires d'un auteur. Avec l'autre pied dans les années 80- la musique de Moroder et de Bowie, la photo de John Bailey - Schrader se mesure aux cinéastes tellement décriés venus du vidéo-clip et de la publicité. Mais il n'a le talent ni d'un Adrian Lyne ou d'un Alan Parker, et encore moins celui d'un Tony Scott qui signe cette année là un chef d'oeuvre cruel et authentiquement érotique, Les Predateurs. On en reparlera.


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