mercredi 9 janvier 2013

65- Kill List- Ben Weathley- 2011- Grande-Bretagne


C'est une résurrection en catimini que semble vivre le cinéma fantastique anglais depuis quelques années. Pour le cinéfantasticophile (!) attentif, des événements symboliques marquants, une production régulière et l'apparition d'une poignée de talents attachants ont redonné vie à une production exsangue il y a encore 15 ans, lorsque Clive Barker, Philip Ridley , ou Bernard Rose disparaissaient du paysage du cinéma de genre, tout comme John Boorman, qui fut pourtant, on l'a presque oublié, un immense cinéaste fantastique.



Aujourd'hui, Barker parvient tant bien que mal, à travers sa maison de production Midnight Picture Show, à mettre sur pied des Horror Movies dignes de ces écrits. Chroniqué brillament ici-même par le cérébral Matthias, Dread (Terreur) se révéla un film passionnant, authentiquement malsain, et parvenant à ramener les thèmes habituels du genre (la solitude du monstre, la séduction du péché, la volupté de la transgression...) sous une lumière contemporaine (permanence du grand spectacle médiatique, disparition de la sphère intime...). Philip Ridley, lui, est sorti de son silence de presque 20 ans avec un film magnifique, Heartless, qui prend toute la mesure, dans une première partie fascinante, d'un envers méconnu de Londres, devenant sous sa caméra, littéralement, un antichambre de l'enfer.

Un geste caractérise certainement les cinéastes de la génération suivante, et c'est probablement leur seul point commun c'est celui d'un profond attachement, voire d'une déférence à l'égard du cinéma de leur aînés. Symbole parfait, certainement, de cette filiation vivante, la Hammer Films, arlésienne des ré-animations attendues depuis des années, dont un nouvel avatar a produit quelques films respectueux de l'histoire de la firme. Si des cinéastes comme Watkins (auteur de La Dame en Noir, pour la nouvelle Hammer, justement), Neil Marshall ou Michael J.Bassett partagent avec certains de nos cinéastes nationaux une relation compliquée à leurs fétiches, j'ai pour ma part une affection particulière pour Christopher Smith, qui me semble se détacher du lot des cinéastes « gardiens du temple ». On en jugera avec quelques beaux films, parmi lesquels les prodigieux Black Death et Triangle, le second dépassant de loin le cadre du film malin à principe fort- une boucle temporelle répétée dont les personnages cherchent à s'évader. 
 
Smith, affranchi de ses modèles (La quatrième dimension, les scénarios de Nigel Kneale, un fantastique teinté de non-sense dont Doctor Who est la version institutionnelle), cinéaste mûr, aboutit à un film à la mise en scène magistrale, qui ne ploie jamais sous le poids pourtant démesuré de son scénario, et parvient à être à la fois cérébral et incarné.

Triangle, incroyable récit de paradoxe temporel de l'anglais Christopher Smith.

J'aimerais pouvoir en dire autant du second film de Ben Weathley, Kill List. Weathley partage avec Marshall ou Bassett une fascination évidente pour un certain cinéma anglais des années 70. Avec Kill List, c'est un hommage direct à un des fétiches du fantastique anglais qui est entrepris, puisque le film est largement une relecture de Wicker Man.

Weathley aime administrer des éléctro-chocs et conduire les trains fantômes. En voilà un qui a tout pour être un ami de la famille. Sa démarche rappelle beaucoup celle de notre Pascal Laugier : proposer des films au déroulement imprévisible, changeant de registre, mais sans virer à l'exercice de style désincarné, mais au contraire, profiter des repères malmenés des spectateurs pour ouvrir le genre sur une description empathique des êtres humains que la caméra filme.



Au départ de Kill List, une poignée de scènes inattendues, qui décrivent sans détour le quotidien d'un vétéran de la guerre d'Irak, suivant le schéma classique du soldat désormais inutile et inadapté, dont la souffrance se manifeste par différents symptômes selon les films, ici Jay a perdu tout sens des réalités matérielles et dépense sans compter pour s'offrir des luxes inconsidérés, alors qu'il est sans emploi depuis huit mois. Le financement d'un jacuzzi dans son jardin est l'objet de la dispute conjugale qui ouvre le film.

Prenante, la scène fonctionne, mais laisse rapidement transparaître la limite du cinéma de Weathley : tout est fait pour nous faire songer à ces films sociaux misérabilistes auxquels on associe souvent le cinéma anglais. En nous refilant un cliché à la place d'un autre, en troquant les tics du cinéma d'horreur pour ceux du cinéma engagé british, Weathley, s'il rends ses personnages vivants, et intrigue quand aux moyens qu'il va mettre en œuvre pour faire correspondre son film au programme annoncé, fait aussi preuve d'une certaine roublardise qui ne se démentira jamais par la suite, au contraire.

Pour résoudre ses problèmes financiers, et se remettre à la verticale, Jay va accepter, à l'invitation d'un de ses frères d'armes, de devenir tueur à gages pour une mystérieuse organisation. L'intrigue policière, grâce à quelques coupes narratives, et à l'infusion d'éléments fantastiques discrets (personnages traçant des signes cabalistiques, apparitions fantomatiques aperçues au loin etc...) se teinte d'horreur et de fantastique, et Weathley aimerait beaucoup nous faire perdre pied, et brouiller les frontières du réel tout comme se brouillent les repères de son personnage principal.

Le cinéaste prend alors le risque d'accumuler des indices qui ne font qu'organiser crescendo un mystère dont on n'entrevoit que les contours, et dont on attend tout du long la mise en perspective brutale, selon la règle du film à retournement, et qui lorsque c'est réussi, provoque l'euphorie du spectateur, plus ou moins tenace selon la profondeur de la mise en perspective, et l’intérêt donné rétrospectivement à ce qui a précédé.



Mais avec Kill List, on n'aboutit nulle part, la fin en forme de pirouette n'ouvre aucune dimension supplémentaire, et finalement, Weathley n'a rien à raconter.
Mais il le fait plutôt bien, même si ses manières n'ont rien de fin.
Ce qui rendait Wicker Man si fascinant, c'était la production de son climat angoissant avec un environnement solaire et pastoral, à travers des personnages sympathiques, voire débonnaires comme son héros policier provincial, et de provoquer l'horreur en convoquant des images paradoxalement inédites, alors qu'elles réactivaient une imagerie mythologique millénaire.

Dans Kill List, Weathley créer l'angoisse par une bande-son faite de grondements graves et de dissonances, qui peuvent aussi bien faire rire que troubler, tant leur emploi est systématique. De même, le montage, heurté, dérange d'une façon tout aussi mécanique, puisqu'il s'agit de couper à peu près n'importe quand , pour insérer éventuellement une image violente.

Comme avec beaucoup de ces films qui cherchent à redonner vigueur à des formules éculées du film de genre, la voie de la parodie et du second degré étant interdite au cinéaste sincère, ne reste guère que la solution maniériste.

Weathley s'y adonne à cœur joie, mais son exercice de style manque de personnalité, et il me semble que tout ce qu'il tente a été mieux fait ces dernières années, ailleurs. Ti West avec un déroulement similaire et une fin aussi décevante en regard des attentes avait démontré plus d'adresse de metteur en scène dans House of The Devil (il s'imposait un huis-clos et une caméra presque fixe), Pascal Laugier en France se révèle, à travers ses scénarios à tiroirs un cinéaste autrement plus préoccupés de poser un regard sur le monde et sur ses personnages.



A force de sembler uniquement préoccupé par son spectateur, Weathley donne, lui, l'impression terrible, non pas de détester ses personnages mais que ceux-ci lui sont indifférents.

Mais si son film finit par ne rien raconter, à force de n'avoir pas de point de vue sur ce qu'il montre, c'est aussi sa force. Pur exercice de mise en scène, sa vision demeure un tour de train fantôme suffisamment prenant pour que les sens demeurent en éveil, et que tant qu'on n'est pas arrivé au bout, les méninges s'animent pour essayer de saisir le tableau d'ensemble.

L'exploitation de Kill List nous ramène au préambule de cette chronique. Si le fantastique anglais est bien vivant, peu de spectateurs semblent au courant. Entrées en salles minuscules (quand exploitation salle il y a …), sorties directement en DVD, les cinéastes anglais ont bien du mal à faire reconnaître leur nom. Neil Marshall, Christopher Smith, Michael J. Bassett tournent pour la télévision. Comme pour les scénaristes de bande-dessinées, la tentation de l'exil hollywoodien est grande, d'autant qu'il s'agit souvent de la seule solution pour espérer pérenniser un carrière. A l'instar du fantastique espagnol, tout ce qu'on souhaite à ces cinéastes, c'est d'obtenir un ou deux grands succès internationaux ouvrant à une reconnaissance méritée d'un fantastique ne devant rien aux studios outre-atlantique.




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