lundi 28 octobre 2013

XXS



Xtro, Harry Bromley Davenport, 1983, Royaume-Uni



Voilà bien un film sur lequel il va être difficile de tenir plus de quelques lignes, tant sa vision n’a pas appelé chez moi quelque chose de l’ordre du commentaire… Mais après tout, nous avons débuté ce mois avec Bad Biology, et s’il est possible d’ergoter un moment sur le Henenlotter, alors il devrait être possible de le faire avec ce Xtro à l’improbable nature…
            Ce film produit en 1982 sera au moins l’occasion de faire un léger retour sur notre voyage de l’année passée, lorsque nous nous promenions au milieu de Poltergeist, d’ET ou de The Thing. Voilà une œuvre qui n’aurait pas déparé dans un tel paysage, dans une version certes appauvrie mais néanmoins non sans ambigüité quant à sa tradition. Il y a tout autant du ET de Spielberg, dans ce Xtro qui reprend un argument comparable, un enfant au contact arbitraire d’un alien dont on ne connait pas les motivations, que du film de Hooper quand il s’agit de décrire par le menu la mise à l’épreuve teintée d’horreur, et ici fortement,  d’une famille lambda, ou encore de la Chose de Carpenter dont l’alien reprend ici la capacité métamorphe. Un film probablement dans l’air du temps, donc, et qui synthétise comme en direct les thèmes les plus courus de la Science-fiction et de l’épouvante des dernières années – comment tout de même ne pas penser à Alien, dont le film est une évidente déclinaison – dans le même temps qu’il semble presque contrefaire ces grands films produits par des studios désormais richissimes. La pauvreté n’empêche donc pas ce cinéma d’exister, loin de là, semble nous dire Davenport, qui s’est même payé le culot de réaliser deux suites à cet « original ». On ne sait toutefois trop que penser de la façon dont le cinéaste anglais pille sans vergogne les films cités plus haut : s’agit-il là d’une forme d’hommage à ce cinéma dont il ne partage certes pas les moyens, mais tout au moins le désir de formes autres – alien, littéralement – ou au contraire ne s’agit-il là que de surfer sur des succès récents, à la manière de cet historique cinéma de série B incarné par un Corman par exemple, à moindre coût et ainsi capitaliser sur le partage d’un public commun cette fois ?
            Qu’il nous soit permis de penser que Davenport, et peut-être surtout New Line et Robert Shaye, les producteurs, courent les deux lièvres à la fois : l’opportunisme commercial d’une part, et l’enthousiasme artistique de l’autre. C’est sûrement l’un des intérêts de la série B que d’être en dialogue avec son époque, à l’égal de cet interlocuteur invisible et néanmoins nécessaire du contre-champ. Oui, Xtro est un film qui doit se voir à l’aune des grands succès de 1982 et des années précédentes, et qui profite de ces grands succès, mais l’intérêt de ce film, s’il existe, réside bien dans ce contrepoint qu’il représente, et qui prétend « déshabiller » les rois. Raconter l’histoire d’un alien qui enlève un père de famille pour le rendre aux siens trois ans plus tard, « augmenté » des capacités contagieuses des aliens en questions, voilà qui est à la fois bien classique, et bien singulier dans quelques-unes de ses images. Alors, bien sûr, Davenport, s’il n’a pas les moyens de Scott, Carpenter ou Spielberg, n’a surtout pas leur talent. Mais de celui-ci, il n’est toutefois pas totalement dépourvu, et il parvient au fil de son film un peu bancal à fabriquer quelques visions que la postérité a conservé, et qui, dès sa sortie – le film a tout de suite joui d’une forme de statut culte – parvenait à commenter le cinéma qu’alors il plagiait. Un petit mot également de l’origine du projet : Davenport, scénariste du film – il en a aussi écrit l’insupportable bande originale, auteur complet…- désirait d’abord réaliser un authentique film de Science-fiction, mais aucun producteur anglais, dont le cinéma décidément se mourrait lors de ces années 80, n’a pu ou voulu prendre le risque de se lancer dans une telle aventure. Davenport s’est donc tourné vers une société de production américaine, New Line, qui prétendait se spécialiser dans le genre, et notamment dans l’horreur, alors en vogue durant ces early 80’. Le deal eut lieu entre Davenport et Shaye, producteur de New Line, à la condition que l’inaugurale histoire de Science-fiction se transforme en franc récit d’horreur. Une forme de compromis fut trouvée, et Xtro put voir le jour – et je ne dis pas ça à la légère… D’un désir de Science-fiction naquit donc un film d’horreur à la réputation certaine auprès des fans du genre. Un malentendu, certainement, mais dont le résultat mutant n’est pas sans intérêt. New Line continuera dans cette veine de l’horreur franche et poisseuse à destination toutefois du public le plus large. La société de production atteindra une reconnaissance critique et publique mondiale, lorsque 25 ans plus tard, elle produira la trilogie du cinéaste d’horreur le plus célèbre de tous les temps, Peter Jackson, avec son Seigneur des Anneaux, adapté de Tolkien. Oui, nous sommes très loin de « l’Empire Corman » et c’est évidement un signe des temps que ce passage de la marge au centre ait pu avoir lieu, après les années 80…
            En attendant, en 1982, New Line permettait à Davenport de fabriquer quelques images dignes du genre, et, chose non négligeable, de concurrencer l’Alien de Ridley Scott jusque dans sa séquence la plus singulière : la naissance du monstre. Après que l’alien de Xtro a ensemencé sa victime, dans une séquence de viol autrement plus explicite que dans le film de Scott, la brutale gestation de l’alien qui a pris les traits et les souvenirs du père disparu au début du film, est filmée sans faux-fuyant. La jeune femme victime de l’alien, encore sous le choc de son agression « surnaturelle », voit son ventre gonfler jusqu’à une taille qui renvoie le ventre tendu de Kane dans le film de Scott aux dimensions d’un simple ballonnement. Et pourtant, ce n’est pas par la technique désormais célèbre du « Chestburster » que se révèle au grand jour l’alien à l’allure toute humaine, mais bien par un accouchement par voie naturelle que nous apparaît donc ce gaillard d’un bon mètre 75 et de soixante dix kilo au moins ! L’accouchement d’un adulte, voilà tout simplement ce qu’est cette image profondément dérangeante en ce qu’elle nous est à la fois familière et singulièrement étrangère. C’est dans les bons moments du film, ce à quoi parvient Davenport : fabriquer de l’étrangeté à moindre frais, non avec des monstres designés par un artiste de renom, mais avec des objets évidents pour le cinéma, comme un comédien (!), ou d’autres manufacturés en série, et justement inquiétants pour leur trivialité.
            Si cette façon de faire participe du sentiment d’amateurisme qui se dégage de tout le film, c’est aussi ce qui constitue son commentaire des succès récents. Tout le film dégage une atmosphère poisseuse inséparable de la réalité prosaïque de ses conditions de production. Les décors « naturels », les effets spéciaux, tout organiques, jusqu’aux comédiens, approximatifs et très ordinaires, toute cette « vulgarité » fabrique un univers aux antipodes des films d’ingénieur dont pouvait nous parler le Chef de gare à propos de Oblivion, et au rang desquels il faudrait bien classer les œuvres d’un Ridley Scott. Cette profanation du matériau cinématographique, pour reprendre un terme fameux dans ce type d’histoire, cet appauvrissement assumé des figures du genre, voilà ce qui représente une certaine idée du cinéma qui nous intéresse, et qui n’hésite jamais à nous amadouer avec les arguments les plus ignobles, littéralement. Du sang, du sexe, de l’obscène en un mot, un programme qui endosse sa distance à l’égard d’un cinéma déjà trop grand public pour être (mal)honnête. Quelques temps plus tard, avec un talent toutefois autrement plus remarquable, un Clive Barker avec son Hellraiser participera à la première renaissance d’un cinéma d’horreur anglais, qui finalement trente ans plus tard ne se porte pas si mal, et qui persiste encore dans la marge qui demeure la sienne, à nous fabriquer des images à la matérialité substantielle au genre. Peut-être très loin, le plus loin possible, des hallucinations en 3D qui aujourd’hui terraforment virtuellement la Terre du Milieu…

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