dimanche 23 octobre 2016

23/31: Special Feature




Quand ?



Matthias: C’est certainement l’un des ressorts narratifs très fort de ce film : il n’y a aucune ambiguïté quant au personnage de tueur psychopathe interprété par (le génial) Rutger Hauer. Dès les premières minutes du film, on sait qu’il est un fou sanguinaire, pas besoin d’un long suspens à la Duel, dont pourtant le film pourrait être une réplique, pour admettre la perversité de ce personnage d’auto-stoppeur aussi mystérieux qu’increvable. Dès la douzième minutes du film, on peut ainsi croire que ça y est, non seulement on a connu ses motivations (le goût du sang), mais on s’en est déjà débarrassé. Le film commence presque ainsi par ce qui pourrait constituer sa fin - et d’ailleurs, la mort (presque) définitive du personnage interviendra à l’issue du film de la même manière - il est violemment projeté hors de l’habitacle du véhicule. Sauf qu’entretemps, les choses auront largement eu l’occasion de dégénérer pour Jim Halsey, le malheureux jeune chauffeur en transit entre Chicago et San Diego. Nous sommes certes tout entier avec lui durant le film, qui tente non seulement de protéger sa vie contre le psychopathe qui le pourchasse, mais aussi sa santé mentale dès lors que son persécuteur « inocule » entre eux deux un lien intime qui est certainement le véritable enjeu du film. La beauté virile et néanmoins ambivalente du blond Hauer participe de ce trouble jeu sadomasochiste que le jeune Jim expérimente à son corps défendant. Il y a bien sûr quelque chose du jeu du chat et de la souris dans ce film, et c’est sans doute ainsi, dans une version toute « féline » qu’entend interpréter son rôle le Hollandais farouche, qui à l’image de son totem compte certainement plusieurs vies ! C’est aussi que ce personnage d’autostoppeur est une pure abstraction de cinéma, une allégorie du mal qui s’abat sans sommation et transforme ses victimes jusqu’au plus profond, jusqu’à en faire eux-même des bourreaux. Je le disais à propos de La nuit des morts-vivants, il y a tout un cinéma américain dans lequel le héros devient ce qu’il combat. Ce Hitcher en est une occurrence tout à fait remarquable, dans sa sécheresse et ses ambiguïtés. Un road-movie que l’on pourrait simplement considérer comme « survivaliste » mais qui pousse l’équivoque de ce genre beaucoup plus loin que la plupart des « produits » générés habituellement. Nulle justification de la violence dans Hitcher, simplement une spirale qui confine au vertige.   



Chef de Gare: La première fausse mort de l'auto-stoppeur, qui intervient dès le début du film, est effectivement l'occasion pour le cinéaste de poser le principe du personnage: il est invincible. Le cinéaste insiste bien sur l'immobilité du corps, étire la durée de son inconscience pour, déjà, troubler les repères temporels, avant de le montrer se relever comme si de rien n'était. Exactement comme à la fin, tu le soulignais, lorsqu'il se remet debout après que Jim lui ai roulé dessus. Une des très nombreuses images littérales de ce film, dont le sous-texte homosexuel est assez incroyable. Hitcher est incontestablement un de ces films, dont, une fois passée la première disparition du méchant, on s'attends ensuite constamment à ce qu'il se relève de tout. Mais- et c'est là que je me démarquerai un peu de ce que tu dis- c'est aussi parce que l'enjeu du rapport entre les personnages n'est pas du tout la question de la survie de l'un  ou de l'autre. Pour moi, Hitcher n'est pas du tout un survival. Pour le dire crûment: c'est l'histoire d'une initiation sexuelle, d'un jeune homme au seuil de sa vie d'adulte, qui est présenté comme passif, par un aîné violent, qui ne cesse de lui dire: je vais te prendre quand j'en aurai envie, tout ce que tu peux faire- et c'est ce dont je rêve- c'est de me prendre encore plus fort.



Comment ?





Matthias: L’autostoppeur est « indestructible » en tant que tel. Du moins tant que Jim ne l’a pas admis. Et l’admettre signifie non pas le mépriser, mais lui reconnaître toute sa puissance. On peut penser que l’histoire s’arrête pour Jim lorsqu’après lui avoir craché dessus dans le commissariat, il le laisse partir pour la prison d’Etat sous bonne garde policière. C’est alors qu’intervient le dernier retournement du récit, qui n’a que faire à ce moment de tout réalisme : Jim ne peut plus se séparer de son bourreau. Il décide de voler son véhicule au policier qui pourtant lui a enfin reconnu ses droits, et par là de se remettre en situation difficile, pour retrouver l’autostoppeur dont il sait qu’il va parvenir une fois encore à se sortir de la situation apparemment terminale dans laquelle il s’est d’ailleurs lui-même mis. Il y a comme une « intrication », presque au sens quantique du terme, entre les deux personnages : l’un interagit sur l’autre nécessairement. C’est dès lors que cette interaction est admise par Jim que le récit peut se conclure : ils ne sont plus qu’un seul personnage et dès lors le duel tant attendu peut avoir lieu. Celui-ci rejouera la première rencontre, mais dans l’intervalle, l’un des deux personnages a profondément évolué, et le personnage de Rutger Hauer pourrait dire à son « protégé », à l’instar d’un autre fameux méchant increvable et charismatique du cinéma de genre : « My child, you have come to me my son. For who now is your father if it is not me?».



Chef de Gare: Je t'avoue que j'ai du mal à voir un rapport  filial entre Jim et le Hitcher. A la limite de maître à élève. Tu disais, l'auto-stoppeur ne peut mourir parce qu'il est une idée. On en a souvent parlé, notamment à propos de Fisher, mais la grande affaire du cinéma fantastique, en tous cas celui qu'on aime, c'est la circulation des pulsions. Avec d'une part un cinéma angoissant qui mettrait en scène la disparition des barrières à cette circulation, qui peut finalement se faire partout et en tous, et un cinéma rassurant qui organiserait  des limites impénétrables à ses pulsions. Dans le cas de Hitcher, evidemment, les choses seraient plus simples si les pulsions dont l'auto-stoppeur est l'objet se limitaient à lui, alors sa disparition définitive sanctionnerait le triomphe du héros. Ce qui est d'autant plus remarquable dans le film de Harnon, c'est que tout en étant très américain, il s'inscrit dans le type de fiction angoissante que je définissais  plus haut. le Hitcher incarne une pulsion qui va s'emparer aussi du héros. Pour revenir à la remarque sur les rapports entre Jim et John Ryder, ce sont des rapports sexuels. Voir cette scène incroyable dans le commissariat où Jim vient prendre doucement la main de l'auto-stoppeur, et tout en la serrant, lui envoie à la figure un crachat, filmé comme une éjaculation. Et  après, Hauer passe ses doigts avec délectation sur la salive et se l'étale plus qu'il ne se l'essuie. Comme tu le disais, une pulsion ne peut pas mourir, et la disparition définitive de Ryder n'est possible que quand le désir s'est emparé du Jim. Le film est écrit par Eric Red, un mec très intéressant, qui signe ces années-là une trilogie remarquable: Hitcher, donc, et deux films de Kathryn Bigelow: Near Dark et Blue Steel. D'ailleurs  The Hitcher pourrait tout à fait être un film de la réalistrice. En tous cas, le personnage de l'auto-stoppeur a quelque-chose du vampire, aussi par sa sensualité, par sa capacité à utiliser les flux circulatoires: ici la route, filmée comme une artère !



Pourquoi ?



Matthias: Le personnage de Rutger Hauer est indestructible parce qu’il est une idée - et une idée est à l’épreuve des balles ! (autre citation…) Le choix de ne donner aucune psychologie à cet autostoppeur mystérieux permet toutes les projections, et surtout nous évite toute rationalisation de ses motifs. Il y a sans doute dans un tel personnage quelque chose qui résiste à l’air du temps. J’évoquais au sujet de It Follows la difficulté de « tenir » une angoisse dans forme, caractère propre du cinéma d’horreur. Nous l’avions également évoqué au sujet d’Alien ou de The Thing il y a quelque années, quant aux choix plastiques opérés. Hitcher participe de ce même motif, mais dans sa narration : l’autostoppeur n’a certes qu’une forme plastique, celle assez mystérieuse de Rutger Hauer. Mais dans un film à la grammaire assez habituelle du road-movie, et à celle qui le devenait en 1986 du survival, Robert Harmon fait le choix de laisser dans l’opacité complète les éléments psychologiques qui pourraient « en rajouter » à son récit. Pas de raisons, pas de motifs, pas de psychologie, mais un face-à-face qui va venir se nourrir de toutes ces carences, jusqu’au dénouement final. Une histoire passionnelle, au fond, non d’amour, mais d’une haine qui n’est jamais complètement éloignée de la dévotion. Cette idée, finalement éminemment plastique, et de cinéma véritablement, n’a pas même besoin vraiment d’un récit. On suit l’histoire de Jim sans jamais vraiment s’intéresser à la plausibilité du parcours de son bourreau, toujours là quand il faut, omniscient, voire omnipotent. Une idole mauvaise et pugnace, à la perversité dynamique, c’est-à-dire qui permet le mouvement, motif obligatoire du genre du road-movie. Est-ce le wilderness, ce caractère typiquement américain, qui s’agite là, dans une forme « pure » ? Quelque chose de l’ordre de notre fascination pour ce pays construit sur le désert de toute humanité, avec la violence pour premier agent ? Peut-être cet autostoppeur, et sa victime, presque consentante à la fin du film, ne sont-ils finalement qu’une certaine idée de l’Amérique…



Chef de Gare:.. ou de l'homme. Pour moi, le hitcher ne peut pas mourir tant qu'il n'a pas fait de Jim un homme. D'ailleurs le début du film présente le garçon presque comme une image d'épinal americana du teenager tout juste émancipé: entamant une longue traversée du pays, faisant référence au bons préceptes de sa maman, tout en prouvant par ses actes qu'il veut se montrer capable de s'y opposer, et d'un aspect très juvénile. Le début du film est superbe-  le décor du désert est superbement photographié, mais je ne dirais pas, avec toi, que le film a quelque chose du road-movie, ni que le paysage y joue vraiment un rôle. Je le vois plutôt comme un non-lieu, un espace permettant au récit de se déployer à un niveau presque psychanalytique- les personnages incarnant des pulsions ou des interdits- le rôle des différents policiers croisés par exemple. Comme dans la scène, encore une fois incroyable- dans laquelle il laissent tranquillement Jim négocier la vie de Nash. Et échouer ! Encore une image littéral: Le hitcher déchire la jeune fille en reprochant au jeune garçon qui aurait du le faire son impuissance... La puissance de la mise en scène, et la limpidité de ce que les images nous racontent, en fait, sot si grandes que toutes les invraisemblances du récit passent comme une lettre à la poste.

Tu dis aussi que le hitcher permet le mouvement- et donc le road-movie, mais est-ce que le film est une vraie poursuite ? on a plutôt le sentiment d'un faux mouvement, et que les personnages, comme dans ces cauchemars où l'on court sur place sans parvenir à se déplacer, ne font que tourner en rond: les restaus routiers et les stations essence se ressemblent tous, la route est toujours droite, et la pulsion toujours tapie dans un coin !

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire